Jan Lauwers et le spectacle de l’intolérance
Résurrection d’une œuvre négligée de Luigi Nono. À la mise en scène, Jan Lauwers, manque le coche.
- Publié le 17-08-2021 à 17h10
- Mis à jour le 18-08-2021 à 15h21
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C'est un des paradoxes de Salzbourg. On y remplit les 2 000 places du Grand Festspielhaus pour Mozart, mais on remplit tout autant le Manège des Rochers (plus de 1300 places) pour une œuvre "contemporaine" qui parle de réfugiés, d'oppression, de torture et de liberté. Luigi Nono a souvent été à l'honneur au festival qui, après Prometeo (1993) et Al gran sole carico d'amore (2009), affiche cette année Intolleranza 1960, "action scénique en deux parties" créée à Venise voici juste soixante ans.
Plus oratorio qu’opéra à proprement parler, l’œuvre est basée sur un collage de textes (Brecht, Éluard, Sartre, Maïakovski…) choisis par Nono en fonction de l’actualité de l’époque, et notamment la catastrophe du Bois du Cazier. L’idée du compositeur était de représenter l’opposition entre l’intolérance (le fascisme) et la résistance à l’intolérance, certains personnages surgissant comme des allégories, à commencer par un mineur immigré qui décide de rentrer dans son pays d’origine.
Sous la direction experte et passionnée d'Ingo Metzmacher, le Philharmonique de Vienne se montre aussi concentré et ductile que pour Cosi fan tutte, répartissant son effectif entre la fosse, un balcon et une impressionnante batterie de douze percussionnistes en bord de scène. L'exécution musicale est la principale raison de se réjouir de cette production rare, tant il est vrai que la partition du compositeur italien est de celles qui ne se déploient vraiment qu'en live et avec la spatialisation adéquate, que le disque ne permet pas. Les chœurs de l'Opéra de Vienne sont splendides, tout comme les solistes, venus d'horizons musicaux et culturels divers : le ténor Sean Panikkar (le réfugié), la soprano Sarah Maria Sun (sa compagne), la mezzo Anna Maria Chiuri (une femme) ou le baryton Musa Nqungwana (un torturé).
Agitation scénique
À la mise en scène, Jan Lauwers signe sa deuxième production salzbourgeoise après L'Incoronazione di Poppea. Le Flamand excelle dans la gestion des grandes masses, et on peut dire qu'il arrive à faire vivre un effectif important qu'il a voulu aussi multiracial que possible (solistes, choristes et danseurs). Mais le mouvement n'est pas tout : perpétuel et forcené, il finit, à la longue, par lasser. Lauwers a beau faire projeter en prélude quelques chiffres sur l'actuelle crise des réfugiés (le mineur est d'ailleurs rebaptisé ici réfugié), son agitation scénique ne suffit pas à créer sens. Même sa représentation insistante de la torture (où bourreaux et victimes échangent leurs rôles tour à tour) finit du coup par prendre un tour chorégraphique, et donc plus spectaculaire que bouleversant. Et on n'est pas plus convaincu par son idée d'insérer dans l'œuvre de Nono un personnage récurrent à ses spectacles, le Poète aveugle, joué par un de ses proches (Victor Afung Lauwers), d'autant que le "poème" écrit pour l'occasion n'est intéressant ni dans la forme ni dans le fond.
Salzbourg, Felsenreitschule, les 20, 26 et 29 août ; www.salzburgerfestspiele.at .