Mylène Farmer a 60 ans: portrait d'une artiste hors normes

Enregistrements studio, lives, compilations, quinze de ses disques se sont classés en tête du Top album français depuis 35 ans. C’est inégalé à ce jour. Depuis ses débuts au mitan des années 80, avec le 45 tours “Maman à tort”, elle a vendu 30 millions d’albums dont huit sont certifiés disques de diamant. Parmi ceux-ci, Ainsi soit je, qui lui a permis dès 1988 d’avoir son nom dans le célèbre livre Guinness des records. À cela s’ajoutent vingt singles classés numéros 1, dont cinq sont extraits du même disque. Ça aussi c’est inédit. Sans parler des 55 titres qui se sont invités dans le Top 10!

Des chiffres du genre, on pourrait en étaler des dizaines tant l’artiste jouit d’une popularité qui ne faiblit pas. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir qu’en octobre 2018, à l’ouverture de la billetterie pour ses spectacles donnés à la Défense Arena en juin 2019, 120 000 places avaient été vendues en moins de 48 heures. Elle avait fait encore mieux en 2013 pour son show Timeless donné au Stade de France. En moins de trois heures, 160 000 des tickets avaient trouvé preneur ! Cette année-là, elle est devenue la chanteuse française la mieux payée. Le magazine Challenges a estimé ses revenus à près de 5 millions d’euros. Gageons que les ventes des places pour sa tournée des stades Nevermore 2023, qui passera par Bruxelles le 22 juillet, confirmeront la tendance. Une prévente exclusive est organisée le 1er octobre sur le site www.mylenefarmer-nevermore2023.com avant la mise en vente générale trois jours plus tard.

Les dates belges, françaises et suisses seront suivies d’une tournée dans les pays de l’Est où la flamboyante rousse est aussi une méga star, en particulier en Russie.

Le culte de la discrétion

À côté de ces dizaines de millions de disques vendus, de ces centaines de milliers de personnes qui l’adulent à chacun de ses concerts, Mylène Farmer, star en pleine lumière, cultive une discrétion sans pareille. Depuis ses débuts, elle s’est faite rare en dehors de ses productions discographiques. En près de 40 ans de carrière, elle n’a proposé que sept tournées dont deux ont été des résidences. Mais chacune d’elles a donné lieu à des spectacles incroyables. À titre d’exemple, son Tour 2009 et Timeless 2013 ont coûté 30 millions d’euros ! En 2019, ses neuf soirées à la Défense Arena de Nanterre ont également rapporté près de 30 millions d’euros, la propulsant dans le top 10 mondial des artistes live cette année-là.

Ses apparitions médiatiques sont aussi exceptionnelles. Et donc attendues et suivies. Une partie de l’explication est à aller chercher en 1991. Cette année-là, le 14 août, déçu de ne jamais recevoir de réponse à ses courriers, un de ses fans se rend dans les locaux de la maison de disques de Mylène Farmer. Elle est absente. Le préposé à l’accueil refuse de communiquer les coordonnées privées de la chanteuse, il est abattu d’un coup de fusil. Le drame a considérablement marqué la star.

Pour décrypter Mylène Farmer, à défaut de l’entendre s’exprimer, il n’y a pas d’autre choix que de se plonger dans ses textes. Depuis son deuxième album, Ainsi soit je, elle signe la très grande majorité des paroles qu’elle chante. Elles sont autobiographiques. “Écrire, c’est ma raison de vivre. Peut-être parce que dans mes textes je ne parle que de moi”, dit-elle.

Sous contrôle

L’artiste se double aussi d’une femme d’affaires avisée. Mylène Farmer gère sa carrière. Vraiment. Rien ne se fait sans son aval.

Elle est aussi à la fois productrice et éditrice de la plupart de ses disques. Et elle se trouve aussi derrière les débuts d’Alizée ou plus récemment Julia (Fiquet), repérée par le tandem Mylène Farmer-Laurent Boutonnat lors de la deuxième saison de The Voice Kids en France, dont l’album Passe… comme tu sais est sorti l’an dernier.

On ne lui connaît qu’un échec: Giorgino. Le film de Laurent Boutonnat dans lequel elle joue a été un flop total lors de sa sortie en 1994. Pourtant, c’est avec leurs clips ultra-léchés, au format CinéScope, qu’ensemble ils ont littéralement révolutionné les vidéos musicales en France.

Ce n’est que tout récemment, en 2018, que Mylène Farmer a retrouvé les plateaux pour un film, Ghostland, de Pascal Laugier. résultat : 1,65 million d’entrées. En revanche, elle a prêté sa voix à plusieurs reprises pour des productions de Luc Besson : Arthur et les Minimoys et les deux volets qui ont suivi.

Il est loin le temps où les grands yeux noisette de la native de Pierrefonds, au Canada, se perdaient dans un avenir incertain. Après avoir quitté sa rétho deux jours seulement après la rentrée pour s’inscrire au Cours Florent, Marie-Hélène Jeanne Gautier de son vrai nom, a quelque peu erré jusqu’à ses 22 ans, travaillant tour à tour dans un cabinet dentaire ou pour un gynécologue, cachetonnant en apparaissant dans des publicités pour des poudres à lessiver notamment. Ses rêves de faire carrière auprès des chevaux brisés par une mauvaise chute, elle a été bien inspirée le jour où elle s’est rendue au casting organisé par Laurent Boutonnat et Jérôme Dahan afin de trouver une voix à mettre sur leur chanson “Maman à tort”…

Une artiste inspirante

En 37 ans de carrière, outre Laurent Boutonnat qui a signé la plupart de ses musiques et de ses clips les plus marquants, Mylène Farmer a collaboré avec de très nombreux artistes. Sur ses disques tout d’abord, avec Jean-Louis Murat sur le titre “Regrets”, Seal (“Les Mots”), Sting avec le single “Stolen Car (Take Me Dancing)” qui la conduira à être invitée sur le plateau du prestigieux Tonight Show Starring Jimmy Fallon sur NBC, aux États-Unis, et tout récemment, l’Américaine LP (“N’oublie pas”). Avec Moby et Feder, le travail a été plus loin. Le premier signe sept des titres de l’album Bleu Noir (2010) et coproduit le disque. Idem pour le second sur Désobéissance (2018). En 2015, c’est avec Martin Kierszenbaum qu’elle s’associe pour 9 des morceaux d’Interstellaires. L’Américain a un sérieux pedigree: auteur-compositeur et producteur pour Lady Gaga, Sting, Keane, Tokio Hotel, Feist et bien d’autres.

Sur scène aussi, Mylène Farmer a multiplié les collaborations. Khaled sur une partie du Tour 1996, tournée qui signe aussi ses débuts avec le directeur musical Yvan Cassar. Et puis, il y a tous ces grands couturiers qui lui ont confectionné ses somptueux costumes de scène et pour ses clips, heureux de pouvoir donner libre cours à leur imagination en plongeant dans l’univers tomboy (filles aux allures de garçons) et érotique développé par la chanteuse. Celui dont le nom est le plus souvent associé au sien n’est autre que Jean Paul Gaultier. Lors de la série de concerts donnés à La Défense Arena en 2019, elle était apparue en marinière, une des marques de fabrique du Français. Il est aussi le créateur des tenues portées sur le Tour 2009 et Timeless 2013, et de nombreux clips dont “Je t’aime mélancolie” et “Comme j’ai mal”. Lors de son ultime défilé, pour ses 50 ans de carrière, il avait pu compter sur la participation de Mylène Farmer sur son catwalk.

Lors de sa première tournée, en 1989, c’est à Thierry Mugler que la chanteuse avait confié le soin de l’habiller. Plusieurs de ses créations apparaissent aussi ultérieurement dans des clips, dont “XXL”. Suivront Paco Rabanne en 1996, Franck Sorbier pour les costumes des 13 concerts donnés à Bercy en 2006 et le jeune créateur Ludovic de Saint Sernin. C’est lui qui l’a habillée sur la pochette de Désobéissance et présenté une collection inspirée par l’univers de l’interprète de “Sans contrefaçon”.

Pour ses chorégraphies et ses clips, elle s’est aussi offert les plus grands. Le cinéaste Abel Ferrara pour “California”. Ching Siu-Tung pour “L’Âme-stram-gram”. Budget : 900 000 €. Le clip le plus cher de la carrière de la chanteuse ! Luc besson pour “Que mon cœur lâche”…

Une femme de caractère

Inspirante, Mylène Farmer l’est aussi pour les jeunes générations de chanteurs et de chanteuses. C’était le 14 août dernier, au pied du plan incliné de Ronquières, ici en Belgique. Le festival accueillait Pomme, 25 ans, artiste féminine de l’année lors des dernières Victoire de la musique et auteure sur scène d’une reprise de “Désenchantée”. Fan de Mylène Farmer lui demande-t-on ? “C’est drôle que vous me parliez d’elle parce qu’en vrai, je ne la connais que depuis le mois d’avril, répond-elle Tout le monde pense que je suis hyperfan, mais j’ai découvert sa musique en avril 2021. C’est un peu la honte parce que c’est un mythe, une des plus grandes artistes françaises. Quelqu’un m’a envoyé la chanson ‘Désenchantée’, une artiste qui s’appelle P.R2B. Elle m’a demandé de faire cette reprise ensemble pour un événement. C’était il y a un an. Six mois après, je me suis dit qu’il fallait que j’écoute la musique de Mylène Farmer parce que cette chanson m’avait touchée. Avant avril 2021, je ne savais pas qui était cette femme. Je l’avoue, j’ai été un peu choquée, dans le bon sens du terme. Il y a beaucoup de choses que j’aime énormément chez elle, des thèmes communs que nous abordons. Je me sens superconnectée à elle et clairement je ne suis pas la seule vu le nombre de personnes qui va à ses concerts. C’est une artiste hyper avant-gardiste, une des plus géniales en France. Géniale dans le sens de génie.”

Elle n’est pas la seule à tenir ce discours. Julien Doré aussi ne tarit pas d’éloges à son propos. Pourtant, entre eux, tout n’a pas débuté de la meilleure des manières. Mylène Farmer a très peu apprécié la reprise de “Moi… Lolita” d’Alizée qu’il a proposée lors de la Nouvelle Star en 2007, chanson dont elle avait signé le texte et coproduite. Le candidat de l’émission s’était autorisé quelques changements dans les paroles qu’elle jugeait vulgaires. Pas question de commercialiser le titre sans les paroles originales avait-elle fait savoir. Une attitude saluée par Julien Doré. “C’est une artiste que je respecte énormément, […], que j’aime énormément, dans sa ligne de conduite, dans l’univers que vous décrivez, a-t-il confié sur Europe 1. Je trouve qu’elle a une exigence et elle fait des choix très précis, où justement, dans ce domaine d’activité qui est celui de la musique, plus ça va, plus on nous demande de faire des choses, d’être à droite, à gauche, un peu partout. C’est-à-dire de devoir dire oui un peu à tout et parfois sous forme de chantage. […] Mylène a eu cette force, et aussi par le succès qu’elle a eu au travers des albums et des tournées, de pouvoir dire à chaque fois ‘non’.

Laurent Boutonnat, son pygmalion

Mylène Farmer, Laurent Boutonnat, deux noms indissociables depuis près de 40 ans. Leur rencontre au début des années 80. Elle sort du cours Florent, lui cherche une chanteuse pour mettre une voix sur un titre qu’il a composé en compagnie de Jérôme Dahan, “Maman à tort”. Il a un temps pensé la confier à Lio mais le projet tourne court. Un casting plus tard, il flashe sur celle qui n’arbore pas encore la crinière rousse qu’on lui connaît. “C’était elle. On ne l’avait pas encore entendue chanter mais je savais que c’était elle”, confie-t-il, conquis par son “air psychotique". Le 45 tours est un succès, la suite on la connaît.

Depuis, Laurent Boutonnat a composé la grande majorité des titres chantés par Mylène Farmer. Et contribué à façonner l’univers de celle-ci à travers des clips résolument ancrés dans le monde du cinéma et non celui de la vidéo en vogue à l’époque : 35 mn, format long, générique, etc. Idem pour les concerts lorsqu’ils sont filmés. Celui de “Plus grandir” donne le ton mais c’est “Libertine”, en 1986, qui popularise le style. Mylène Farmer l’a toujours dit, ils partagent ensemble l’amour du cinéma et de l’image en général.

Avant de rencontrer celle qu’il a prise sous son aile, Laurent Boutonnat s’était déjà fait remarquer, avec un film de jeunesse : La ballade de la féconductrice. Il avait 17 ans et son long-métrage était interdit aux moins de 18 ans en raison de sa violence. Il n’est resté que quelques jours à l’affiche d’une salle parisienne mais il a été projeté à Cannes, lors du marché du film, en marge du festival. Malgré les succès de ses clips pour Mylène Farmer, sa deuxième incursion dans le cinéma, en 1994, sera un méga flop. Giorgino n’a attiré que 70 000 spectateurs en France alors qu’il a coûté 12 millions d’euros. Il ne sortira en DVD que 13 ans plus tard, le réalisateur ayant racheté les droits pour empêcher sa diffusion. Il a connu plus de succès en 2007 avec Jacquou le croquant, un million d’entrées dans l’Hexagone, tout en continuant à composer pour celle qui était sa protégée.