Avant Mozart, l’autre "Idoménée"
Opéra En 1712, André Campra mettait déjà en musique le drame du roi de Crète tenu de sacrifier son fils.
Publié le 27-09-2021 à 14h44
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Au retour de la guerre de Troie, Idoménée est pris dans une terrible tempête. Le roi de Crète fait aux dieux l’imprudent serment de sacrifier la première personne qu’il rencontrera s’il échappe aux flots. Et, arrivé sain et sauf sur ses terres, est accueilli par son fils Idamante…
En 1781, à Munich, Mozart fait de ce drame antique la trame de ce qui sera considéré comme le premier des sept grands opéras de sa maturité. Mais, septante ans plus tôt, le musicien aixois André Campra (1660-1744) avait déjà composé pour l'Académie royale de musique un Idoménée avec les mêmes personnages : le Roi, son fils, la princesse troyenne Ilione (Ilia chez Mozart) ainsi qu'Électre, fille d'Agamemnon, rivale de la précédente pour le cœur d'Idamante. Le livret écrit par Antoine Danchet est d'ailleurs passablement plus compliqué, avec une rivalité du Roi et du Prince pour le cœur d'Ilione et un final tragique : dans un accès de folie, Idoménée assassine vraiment son fils. Il est vrai que les dieux sont ici impitoyables, et d'ailleurs plus présents dans l'action puisque Vénus et Éole sont déjà les protagonistes de l'indispensable prologue : à l'époque, à Paris, les tragédies lyriques doivent être structurées en cinq actes et précédées d'un prologue.
Lecture scénique intemporelle
Connu du public bruxellois comme un des piliers du collectif La Fura dels Baus, Alex Ollé propose à l’Opéra de Lille une lecture scénique intemporelle de cette rareté : costumes façon Courrèges, perruques blonde platine pour les choristes et les solistes féminines (sauf Ilione, gothique rebelle), uniformes militaires et chevelures de lion à la Robert Plant pour le Roi et les vieux mâles blancs, et identité intermédiaire pour dire le désarroi d’Idamante. Le décor est fait de miroirs multiples accueillant reflets et projections, capables de créer une tempête redoutable et, l’instant d’après, un palais enchanté. Rien de neuf sous le soleil, mais des personnages bien campés et une grande lisibilité, qualité utile pour mener le public dans ces terres inconnues.
Il y a trente ans, William Christie avait déjà enregistré la partition de Campra pour Harmonia Mundi. À Lille, c'est une autre claveciniste et cheffe qui prend le relais : Emmanuelle Haïm, dirigeant avec un vrai sens théâtral son Concert d'Astrée, en résidence à l'Opéra de Lille. La lecture instrumentale est riche et sonore, et les moments dansés (chorégraphies années 90 et gender fluid de la compagnie basque Dantzaz, gentiment décalées sans être vraiment novatrices) sonnent avec un éclat tout particulier. Les chœurs sont splendides, tout comme les solistes. La plus éblouissante est sans nul doute Eva Zaïcik, ancienne lauréate du Concours Reine Élisabeth, qui incarne ici Vénus, dont on regrette que le rôle ne soit pas plus étoffé. Remarquables aussi, l'Idamante de Samuel Boden l'Électre d'Hélène Carpentier, l'Ilione de Chiara Skerath - autre ancienne du Concours - et l'Idoménée de Tassis Christoyannis, même si le chant manque parfois ici un peu de souplesse.
Lille, Opéra, les 28 et 30 septembre à 20 h, le 2 octobre à 18 h, et en novembre à la Staatsoper de Berlin ; diffusion sur France Musique le 6 novembre à 20 h ; opera-lille.fr