L’"Œdipe" somptueux de Wajdi Mouawad

Un metteur en scène libanais pour le plus français des opéras roumains.

Nicolas Blanmont
L’"Œdipe" somptueux de Wajdi Mouawad
©Elisa Haberer

Est-ce parce que cet enfant du Liban s'est toujours intéressé aux histoires de familles déchirées ? Ou parce que, au théâtre, il a déjà mis en scène tout Sophocle ? Toujours est-il que Wajdi Mouawad pouvait apparaître comme un choix idéal pour mettre en scène l'Œdipe de Georges Enesco. Et que, effectivement, on sort du spectacle avec l'impression d'avoir profondément vécu et compris le fameux mythe, avec en outre une expérience artistique musicalement et visuellement intense.

C'est en 1909 que George Enescu découvrit à la Comédie-Française Œdipe Roi de Sophocle. Le compositeur et violoniste roumain imagina aussitôt d'en tirer (avec aussi Œdipe à Colonne) un opéra, dont il confia le livret au philosophe et écrivain Edmond Fleg, qui avait déjà réalisé un tel travail pour le Macbeth d'Ernest Bloch. Enescu assista entre-temps à la création, toujours à Paris, de l'Œdipus Rex de Stravinsky (sur un texte de Cocteau) et acheva finalement sa partition en 1931, mais il lui fallut finalement encore attendre cinq ans avant qu'elle soit créée, le 13 mai 1936, au Palais Garnier. Son Œdipe reste rare à la scène, même si l'on se souvient que la Monnaie en avait donné une belle production voici juste dix ans.

Thème indémodable

Opéra français plus que roumain, Œdipe n'a pas été choisi par hasard pour ouvrir la première saison entièrement programmée par Alexander Neef, nouveau patron de l'Opéra de Paris. C'est une œuvre importante du répertoire français, un thème indémodable et l'occasion de mettre en évidence les splendides pupitres de l'orchestre, les chœurs puissants (même si on les fait ici chanter masqués, ce qui obère inévitablement l'impact sonore) et une belle brochette de solistes.

Mouawad signe un spectacle d’une beauté souvent soufflante, entre envols d’oiseaux, costumes et coiffes végétaux et grandes stèles de pierre qui servent aussi à la projection des sous-titres. Le souci de lisibilité est constant, jusque dans l’adjonction d’un prologue parlé expliquant, de façon presque trop insistante, l’origine de la malédiction d’Œdipe (le viol par son père, Laïos, du jeune Chrysippe et le suicide de ce dernier). La direction des solistes et des chœurs est à la fois efficace et empreinte de noblesse élégante (jusque dans les déplacements silencieux).

Les solistes, à commencer par le Britannique Christopher Maltmann, qui incarne superbement Œdipe, chantent dans un français parfaitement intelligible. Tous sont dignes d’éloges, avec mention particulière pour Clive Bayley (Tirésias), Anne-Sofie Von Otter (Mérope), Yann Beuron (Laïos), Ekaterina Gubanova (Jocaste) et Clémentine Margaine (la Sphinge). Grand spécialiste de la musique du XXe siècle, Ingo Metzmacher dirige la partition d’Enesco avec beaucoup de soin. Les moments dramatiques (comme la mort de Laïos) sont particulièrement réussis, mais les tempi assez lents qu’il choisit le plus souvent manquent de reflets et de moirés et peuvent du coup sembler trop cartésiens.


Paris, Opéra Bastille, jusqu’au 14 octobre ; diffusion sur France Musique le 30 octobre à 20 h ; www.operadeparis.fr

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