Peter Jackson à propos de "Get Back" : "C'est fascinant de voir le processus créatif des Beatles"
Le réalisateur du Seigneur des Anneaux a œuvré près de quatre ans sur le montage de cet imposant matériel documentaire.
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- Publié le 27-11-2021 à 10h35
- Mis à jour le 06-12-2021 à 07h40
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Disney + met en ligne ces 25, 26 et 27 novembre, à raison d'un épisode par jour,le documentaire en trois parties de Peter Jackson, The Beatles : Get Back. D'une durée totale de quelques 7h30, il est constitué à partir de 59 heures d'images d'archives tournées en janvier 1969 par Michael Lindsay-Hogg durant les préparatifs de ce qui allait devenir l'album Let It Be (sorti en mai 1970) et la célèbre ultime prestation publique des Beatles sur le toit de leur société Apple Corps, à Londres. Les Fab Four, on le sait, se sont séparés dans la foulée. À l'époque, Michael Lindsay-Hogg tire un film de ces images, Let It Be, qui met en avant les tensions durant les sessions. Les Beatles en bloqueront la diffusion après une brève sortie en salles.
Le réalisateur du Seigneur des Anneaux a œuvré près de quatre ans sur le montage de cet imposant matériel documentaire. Un demi-siècle plus tard, Peter Jackson réécrit l'histoire – ou plutôt la remonte pour la nuancer. "J'ai voulu montrer la réalité derrière le mythe" expliquait-il le 15 novembre dernier depuis sa Nouvelle-Zélande lors d'une conférence de presse en ligne où nous avons pu glisser une oreille. Morceaux choisis.
En quoi étiez-vous la personne idéale pour faire ce travail sur Get Back ?
C’est une question horrible. Je suis certainement un fan des Beatles et je crois qu’il faut être un fan des Beatles pour comprendre toutes les conversations qu’ils tiennent dans ces archives. Je suis né en 1961. J’étais en vie lorsqu’ils ont sorti leurs albums. Mais à vrai dire, je n’ai pas de souvenirs des Beatles durant cette décennie pour la simple raison que mes parents n'avaient aucun disque des Beatles. Mais en 1972, 1973, j’ai acheté avec mon argent de poche les fameuses doubles compilations “Bleue” et “Rouge”. C’est le premier disque j’ai acheté Et c’est comme ça que mon histoire d’amour a commencé avec les Beatles. Je crois qu’il fallait être fan pour réaliser ce travail parce qu’il faut puiser dans 59 heures d’images et deux centaines d’heures d’enregistrer. J’avais parfois l’impression d’être un espion de la CIA menant des écoutes secrètes. Le fait d’être fan et de connaître les Beatles permet de comprendre les références, de faire des choix pertinents.
Il y a plusieurs histoires parallèles dans ce film…
Oui. Je raconte aussi l’histoire de Michael Lindsay-Hogg essayant de faire un film sur eux. Ce que lui n’a pas pu faire à l’époque dans son propre film. Je peux pratiquement en faire un protagoniste de l’histoire. Je reste encore époustouflé, après quatre ans de travail, de ce que contiennent ces images… On voit par exemple naître des titres des premiers albums solo des Beatles, comme “Give Me Some Truth” de John Lennon, “All Thing Must Pass” de George Harrison ou “Another Day” de Paul McCartney.
Ce qui est incroyable, c’est qu’ils bouclent néanmoins ce travail en un mois alors qu’on voit qu’ils l’entament sans avoir de plan précis…
Oui, s’il fallait critiquer les Beatles (ce qui n’est pas dans mon ADN), ce qui m’a frappé, c’est qu’il y a peu d’organisation à ce moment-là. L’une des autres histoires de ce récit, ce sont toutes les questions autour du projet de concert qu’ils ont alors. L’idée initiale n’était pas le concert sur le toit. La dernière fois qu’ils ont joué en concert, en 1966, Brian Epstein, leur manager, était encore en vie. Là, ils sont seuls. Et les répétitions auxquels on assiste étaient destinées à ce concert qui aurait dû se tenir dans le studio de Twickenham. Même en ayant vu toutes ces images, je ne parviens toujours pas à avoir une idée précise de qui allait concrètement organiser ce concert s’il s’était tenu. Ils ont l’air d’imaginer qu’il y a quelqu’un en coulisse qui va tout prendre en mains !
Il y a une dualité : ils sont volontairement à Twickenham qui est loin d'être l'endroit idéal pour faire de la musique et ils acceptent de se laisser film, ce qui n'est pas idéal. C'est très ambigu.
C'est juste. Michael Lindsay-Hogg essaie vraiment de capturer les choses sur le vif. Et il y a une espèce de bras de fer permanent entre eux et lui, alors qu'ils payaient pour cela. Afin d'être discret, lui et son équipe plaçaient les caméras sur un pied, les laissaient tourner et partaient boire un thé, afin de se faire oublier. Il masquait la petite lumière rouge témoin. Les Beatles pensaient qu'ils n'étaient pas filmés. Il y avait aussi des micros qui permettaient de saisir les conversations. Paul et John étaient conscients de ça. Parfois, ils faisaient exprès de jouer des riffs ou de créer des distorsions pour masquer leurs échanges. Grâce aux technologies modernes, nous avons pu nettoyer ces passages et isoler les voix. On a été un peu indiscrets ! D'un côté, voulaient être filmés, car payaient pour ça. Mais en même temps, parfois voulaient rester discrets. Mais il y a un seul moment où Paul fait arrêter la caméra (après le départ de George, NdlR). Mais l'enregistreur son a continué d'enregistrer.
Qu’avez-vous découvert sur eux qui vous a le plus étonné ?
Ce qui m'impressionne le plus dans Get Back, c'est qu'on se rend compte à quel point John, Paul, George et Ringo sont des êtres humains. Je veux dire par là que nous croyons tous bien connaître les Beatles. On écoute leurs disques, on a vu les films Hard Day's Night et Help. On se souvient de leurs conférences de presse drôles. Mais ce sont des performances. Les Beatles essayent d'apparaître naturels, mais ils savent qu'ils sont regardés. Dans les images qui ont servi à Get Back, ils ne faisaient pas attention aux caméras, ils n'étaient pas dans la représentation. Ils sont comme dans la vie de tous les jours. Ils restent drôles, on reconnaît leur humour, mais il y a quelque chose en plus. J'avais l'impression parfois d'être comme une mouche sur un mur de la pièce en train de les espionner. Ils travaillent sur un projet ambitieux et nous découvrons comment ils affrontaient les obstacles et les problèmes. Quand George s'en va, ils affrontent une énorme crise. C'est fascinant de voir comme ils gèrent la chose. On voit aussi que ce sont des gars normaux. On les perçoit toujours comme une entité. Mais ce sont aussi des individus qui ont chacun leur opinion, leur façon de penser. Get Back nous en apprend beaucoup sur la manière dont ils fonctionnaient ensemble mais aussi sur leurs différences. Je les perçois aujourd'hui comme des individualités. Et des types très respectables, loin de se comporter comme des divas.
Le point le plus fascinant, c’est d’assister à leur manière de créer des chansons. On voit un processus très instinctif à l’œuvre.
Oui. Je ne suis pas un musicien, mais j’ai été fasciné de voir ce processus de création des chansons. Il y a notamment l’exemple de “Get Back”. On voit que la chanson démarre avec le nom d’un autre personnage, puis ça devient Jojo Jackson, puis ils laissent tomber le nom de famille, ce qui permet de construire le premier vers différemment, ce qui rend la mélodie meilleure… C’est intéressant de voir aussi comment naissent leurs paroles. Par exemple, il est question dans la chanson de Tucson, Arizona. Et l’un d’eux dit : “tiens, c’est là qu’ils ont filmé High Chaparral [série qui passait à la télévision à l’époque] ”.
- The Beatles : Get Back, mini-série en trois épisodes de Peter Jackson. Ces 25, 26 et 27/11 sur Disney +