Cecilia Bartoli en duo magique avec Carlo Vistoli
Dans le "Stabat Mater" de Pergolèse, sous la direction de Gianluca Capuano.
- Publié le 03-12-2021 à 06h55
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À l'image des musiciens de la Cour des Esterhazy ou de la Garde républicaine, les Musiciens du prince de Monaco avaient revêtu l'uniforme des grands soirs pour le concert donné mercredi dans la grande salle de Bozar, pleine à craquer et pour cause. Cecilia Bartoli - leur patronne ! - en était la vedette, mais pas qu'elle, comme le déroulement du concert allait le révéler. Car, avec le Stabat Mater de Pergolèse au programme, il fallait bien s'attendre à l'arrivée d'un deuxième chanteur ou d'une deuxième chanteuse puisque ce motet légendaire, datant de 1736, est écrit pour soprano et alto. Il eût été imaginable de confier la partie d'alto à Cecilia Bartoli, mais en privant le public de ses merveilleux aigus et de leur pouvoir expressif…
Le choix s'est donc porté sur le contre-ténor Carlo Vistoli, guitariste et pianiste de formation, belle allure et charisme en rapport, passé par le Jardin des Voix de William Christie, et aujourd'hui héraut du répertoire baroque, opéras et oratorios confondus. Avant d'arriver dans le vif du sujet, il fallut passer par un échauffement des troupes : un petit motet de Vivaldi, par Carlo Vistoli, un (très) court extrait d'un Gloria du même, enchaîné sur un air de l'Ode for St Cecilia's Day de Haendel, par l'héroïne du jour - tailleur-pantalon de soirée noir et chemisier blanc, tout sourire, follement ovationnée à son entrée sur scène - et, plus substantiel mais hors sujet, un joli concerto d'Alessandro Marcello, avec Pier Luigi Fabretti, premier hautbois de l'orchestre, en soliste. Tout cela sur fond de projections de photos - en noir et blanc - de Venise sous des cieux d'orage. Bon. Et ce Stabat Mater ?
Deux fois l’Amen final…
Devant de nouvelles projections - statues mariales couvertes de lichen, ou visages voilés sculptés dans le marbre -, l'association des deux voix se révéla d'une beauté stupéfiante, avec un noyau central comme fusionné, s'ouvrant dans l'aigu, ou le grave, en déployant mille nouvelles couleurs, à l'image des émotions contenues dans la partition. Il est probable que ce motet - écrit sur un poème du XIIIe siècle attribué à Jacopone da Todi - ait été créé par des enfants, dans un cadre liturgique ; on s'est trouvé à l'autre bout de la galaxie, avec un dramatisme puissant et un dolorisme exacerbé, inscrits dans une virtuosité vocale (et même orchestrale) où l'opéra régnait en maître. Par l'engagement, la maîtrise, la générosité des artistes, cette approche n'en atteignit pas moins son but : accéder à la beauté, à l'émotion partagée - à la transcendance, éventuellement - à travers les affres (revues par l'art) de la condition humaine. Deux bis encore, un par soliste - Carlo choisit Vivaldi, Cecilia, l'inévitable Lascia chio pianga de Haendel - et un troisième, présenté par le chef lui-même, l'Amen final du Stabat dans la version de… Jean-Sébastien Bach. Subtil !