"Des lettres d'insultes, j'en ai reçu un paquet": Pierre Perret se souvient de cette chanson qui n'était pas au goût de tout le monde
À 87 ans, le chanteur s’est lancé dans une tournée d’adieux provisoires qui passera par la Belgique les 11 et 12 juin. L’occasion pour nous de revenir avec lui sur une carrière bien plus pimentée qu’on ne pourrait le croire au premier abord.
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- Publié le 28-05-2022 à 10h24
- Mis à jour le 28-05-2022 à 10h29
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Il n’a pas changé Pierre Perret. Du haut de ses 87 printemps, il a gardé le sourire malicieux et le regard pétillant de celui qui vous réserve un tour de garnement mais à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Le visage rond, il affiche sa bonhomie et dégaine le plus agréable des accueils quand il nous reçoit dans le salon d’un hôtel bruxellois pour nous parler de son dernier album, Mes adieux provisoires, de la tournée qui l’accompagne et de son incroyable carrière.Comme souvent, Pierre Perret ne fait pas comme les autres. Alors qu’il est de coutume de sortir un enregistrement public après une tournée, lui sort d’abord le disque live et puis il prend la route. Avec ses 32 titres, Mes adieux provisoires est bien le tour de chant qu’il présentera au Palais des Beaux-Arts de Charleroi le 11 juin et le lendemain au Cirque Royal de Bruxelles. Il contient trois inédits et bien sûr tous les classiques d’un artiste que l’on range trop facilement dans la catégorie des chanteurs rigolos. Si avec ses chansons Pierre Perret fait rire et met la bonne humeur, il dit aussi et surtout ce qu’il pense et ça n’a pas toujours été facile et bien vu.
Des dizaines de disques, près d’une trentaine de livres autobiographiques, autour de la cuisine, des mots, de l’histoire, pour les enfants, quelques films pour le grand et le petit écran, vous êtes un boulimique de travail. Vous avez dû ronger votre frein à cause de la pandémie…
“Le type de situation qu’on a vécu, certes ça m’emmerdait, mais je faisais partie de privilégiés. À partir du moment où j’ai un stylo et un cahier, je suis heureux, j’ai donc écrit. J’ai écrit des chansons, différentes choses qui seront publiées un jour comme des bouquins, etc. Je ne me suis jamais emmerdé une seconde. Je n’ai jamais foutu mon masque parce que j’étais chez moi, en pleine campagne. Je ne voyais personne et quand je me baladais, c’était dans la nature. Je croisais des fourmis. Elles étaient sans masque donc nous n’avions aucune raison de mettre la muselière.”
Vous êtes resté en contact avec votre public via les réseaux sociaux d’après ce qu’on voit sur votre Facebook notamment…
“Oui. Il y a une chaleur chez ces gens qui m’écrivent. Ils me disent leur émotion après l’écoute de telle chanson comme ‘La femme grillagée’ou qu’ils ont éclaté de rire en lisant ‘Les confinis’(un des trois inédits de Mes adieux provisoires, NdlR.). Il y a énormément de réactions, parfois des milliers et des milliers. Je n’arrive pas à tout voir. (rire)”
Vous avez aussi sorti pour la première fois une de vos chansons directement sur Internet, via les réseaux sociaux, non ?
“Oui, c’est ‘Les confinis’. Je ne pensais pas que ça aurait tant de succès. S’il y avait 100000 ou 200000 écoutes, je pensais que ce serait bien. Jamais je n’ai pensé qu’on passerait la barre des 4 millions ! C’est complètement chtarbé. Ça m’amuse.”

Vous avez toujours affirmé que vous êtes un laborieux, que vous mettez du temps pour écrire vos chansons. Sur Mes adieux provisoires, il y a 3 inédits : “Bientôt”, “Les confinis” et “Mes adieux provisoires”. Ils ont été écrits plus vite qu’à l’habitude ?
“J’écris tout le temps. Il y a beaucoup de déchets, de ratures, de nouvelles pages, de remises en question. Je passe des mois, parfois des années sur une chanson.”
Des années ?
“Oui, des années !”
Vous avez des exemples à nous donner ?
“Je pourrais citer toutes mes chansons. ‘Lily’, j’ai mis quatre ans à la faire. ‘P’tit Loup’, trois ans. ‘La cage aux oiseaux’, j’ai mis une semaine. Aucune chanson n’a été faite par l’opération du Saint-Esprit, je peux vous dire que mon stylo en a chié avec mes chansons.”
C’est le souci du détail, de peser chaque mot ?
“Si la justesse d’un seul mot ne correspond pas au propos ou à l’intention que ce j’ai voulu dire, la chanson ne sort pas. Je ne l’enregistre pas parce qu’elle n’est pas finie. Vous n’allez pas le croire, il y a une chanson qui s’appelle ‘L’eau de la rivière’, que personne ne connaît si ce n’est quelques fidèles. Dans le refrain, il me manquait un mot. Un seul mot. J’ai mis 30 ans pour le trouver.”
30 ans ?
“Oui. Et c’était un mot tout simple. Un matin, j’ai dit ‘Mais que tu es con’et je l’ai trouvé au réveil. Je me suis dit, c’est celui-là et j’ai enregistré la chanson pour le prochain album.”
Depuis 30 ans, “L’eau de la rivière” vous suivait et vous hantait ?
“Bien sûr. Ce refrain m’emmerdait. Je devais être un peu maso parce que le brouillon, avec le refrain et le mot manquant, je l’ai mis sur mon bureau, devant moi, pour me punir tous les matins de ne pas le trouver. Ce n’est pas de la coquetterie, c’est le souci d’une précision qui m’est plus chère que tout.”
Pourtant, à l’écoute de vos chansons, on a l’impression d’une grande simplicité…
“C’est ce que les gens me disent. Parfois, ça va beaucoup plus loin. Ils me disent que ce que je raconte est tellement évident, que tout se comprend tout de suite. Ça doit être facile à faire, me dit-on. Je réponds : ‘C’est très facile. Essayez…’. (rire)”
On a de vous l’image de cette bonne bouille toujours souriante. Pourtant, durant votre carrière, vous en avez bavé, non ?
“Si on n’en a pas bavé, on ne peut pas écrire une chanson. Les chansons, c’est le fruit de la vie.”
Yvonne, la femme du président Charles de Gaulle a été jusqu’à faire interdire une de vos chansons à la radio et à la télévision !
“C’était ‘Les jolies colonies de vacances’. Elle a essayé de les faire interdire mais elle n’y est pas arrivée. Mais j’ai été anobli du jour au lendemain lorsqu’elle a déclaré : ‘Nous vous prions de ne plus diffuser la chanson de cet auteur que nous considérons comme étant la honte de la France’. J’ai pris mes gallons ce jour-là. Tout le monde ne peut pas se vanter d’être la honte de la France. (rire)”
Et dire qu’aujourd’hui, nombre de vos chansons font partie du patrimoine de la chanson française…
“Elles sont dans les livres d’école. ‘Lily’a fait l’objet d’épreuves du Bac. Il y a une trentaine d’écoles portant mon nom en France et quelques-unes en Belgique aussi. Et j’ai essayé de défendre la langue française.”

Elle doit se retourner dans sa tombe, Yvonne de Gaulle…
”Ça m’amuse plus qu’autre chose. C’était déjà le cas à l’époque. Et ça ne m’a jamais rendu honteux. Au contraire.”
Qu’a-t-elle pu penser du “Zizi” ? Qui d’autre que vous aurait osé écrire cette chanson ?
“Dans l’histoire de l’humanité, on a parlé de tout sauf de sexe. On ne peut pas parler de sexe. Je n’ai fait cette chanson qu’en opposition à ce type de comportement de nos enseignants, de la morale qu’on nous a inculqué. La seule chose qui m’a vraiment énervé et a été le moteur de tout, c’est l’enseignement de la morale. Le principal public qui m’a été fidèle toute ma vie, ce sont les enfants, les jeunes, les adolesents. Dans les salles, aujourd’hui, il y a quatre générations. Mais il y a tout le temps eu quatre générations. Ils ont grandi avec mes chansons. L’autre jour, un Monsieur de 35 ans est venu me présenter son fils. Il avait neuf ans et c’était un fan inconditionnel. Il connaissait je ne sais combien de mes chansons. ‘J’en connais entre 100 et 150, me dit-il. Et je pourrais en chanter une quarantaine par cœur.’ Je lui ai demandé sa préférée. Il a regardé son père et il a répondu ‘le cul’. C’est fabuleux ! Après les concerts, quand je signe des albums, les parents me disent qu’ils éduquent leurs enfants avec mes chansons. Parce que j’ai parlé de tout. Ils me disent : ‘Vous avez dit beaucoup de choses qu’il est bon de faire savoir aux enfants très tôt.’ Pour moi, c’est la super récompense, il n’y a rien au-dessus de cela. Comment être plus heureux après avoir entendu des gens dire que l’éducation de leurs enfants passe par moi ? Je suis remboursé au centuple des angoisses, des efforts que j’ai faits, de la transpiration qui a été la mienne pour l’écriture de toutes ces chansons.”
Dans votre répertoire, il y a aussi des titres terriblement audacieux. C’est le cas de ‘La fille grillagée’, une chanson qui ne passe jamais en radio…
“C’est vrai, elle n’est pas diffusée. Les médias sont des frileux. L’autre jour, un truc m’a fait un plaisir terrible. J’ai chanté à Trappes. On m’a dit : ‘Tu ne vas pas chanter ‘La femme grillagée’?’ Il manquerait plus que ça ! J’ai fait un triomphe dans la salle quand j’ai chanté cette chanson. Même pas peur ! Mais ça va plus loin. Ce n’est pas la peine d’écrire ce genre de chanson si c’est pour ne pas les chanter et les mettre sous le tapis. Et s’ils veulent me tuer, ils me tuent, voilà. Ce n’est pas faire le bravache mais il faut avoir le courage de ce qu’on est capable de dire ou de faire. Ça me semble en adéquation logique avec ce que j’ai toujours dit, fait et été. Sinon, ce n’est pas la peine de dire aux autres ce qu’il faut faire alors que soi, on se planque.”
Vous dites tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ?
“C’est exactement ce que les gens me disent en sortant de la salle.”
Rien d’étonnant pour quelqu’un qui, si je ne m’abuse, est né rue de la révolution… Pourtant, à la vue de votre répertoire, ce n’est pas le mot engagé qui vient en premier à l’esprit…
“Je n’ai pas reculé en face de la formulation de la vérité. J’ai passé ma vie à essayer de formuler la vérité de la façon la plus concise. J’ai essayé, modestement. Si j’y suis parvenu, tant mieux.”
Le prix à payer n’est-il pas parfois très lourd ? Des insultes, vous en avez reçu tant et plus avez-vous dit.
“Ce sont mes Légions d’honneur. Quand j’ai écrit’La bête est revenue’(à propos de l’extrême droite, NdlR.), j’aime autant vous dire que des lettres d’insultes, j’en ai reçu un paquet. Pour moi, c’est un honneur.”
Vous avez aussi un côté visionnaire qui ne manque pas d’étonner des chansons contre le racisme, en faveur de l’écologie, sur la pédophilie, avant l’heure…
“Ce ne sont pas des chansons comestibles mais il faut les faire et oser les chanter, les enregistrer. Croyez-moi, ce n’est pas aussi fastoche qu’on ne le pense ; c’est prendre des risques. Le premier, c’est de se faire insulter par des gens d’extrême droite qui aiment le racisme de Céline, etc. Mais ça, c’est un honneur. Moi, je dis ce que je pense être légitime, vrai. Et j’ai le droit de le dire. On est en démocratie.”
Il y a eu pire que les insultes ?
(Long silence) "Un jour, quand j’ai écrit ‘La femme grillagée’, Brice Hortefeux était le ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy. Le disque était sorti depuis 3 jours et il m’a appelé. Il voulait me voir. ‘Parce que ce serait plus prudent’, m’a-t-il dit. On s’est vu et il m’a expliqué qu’avec ‘La femme grillagée’, je prenais des risques. Il m’a montré qu’ils avaient reçu une photo d’un barbu qui tenait mon disque et faisait le signe d’égorgement. ‘C’est peut-être des cons mais ça peut aussi être dangereux, on ne sait pas’, m’a-t-il dit en me demandant ce que j’allais faire dans les jours qui suivaient. Je devais chanter à la plaine Saint-Denis, en plein dans le nid. Il m’a dit : ‘Tu ne vas pas chanter ‘La femme grillagée ?’ J’ai répondu que oui. Il m’a envoyé deux gorilles de 2 m 10 et 130 kg qui ne m’ont pas lâché d’une seconde. J’ai chanté ‘La femme grillagée’à la plaine Saint-Denis et j’ai fait un tabac !”
Vous aimez le danger ?
“Non, je n’aime pas le danger. Je ne suis ni un bravache, ni un provocateur roublard. Ce n’est pas pour séduire, c’est pour dire ce que j’ai sur la patate, voilà.”
Je voulais parler d’un autre danger, celui qui est d’avoir remis en jeu votre carrière en sortant un titre comme “Blanche” qui tranchait énormément avec ce que vous aviez fait jusque-là…
“J’étais en tournée avec Aznavour quand j’ai fini de l’écrire. On faisait une ville par jour et chaque jour, nous écrivions, chacun de notre côté pendant 2 heures, à l’hôtel. C’était pour ne pas perdre le fil car, lui, comme moi, nous écrivions tout le temps. Nous avions convenu de nous montrer nos chansons dès qu’on en avait fini une. Un jour, dans la loge, il m’a dit qu’il avait terminé un morceau et il me l’a chanté. C’était ‘Emmenez-moi au bout de la Terre’. Ce n’était pas n’importe quoi ! Le lendemain, je lui ai chanté ‘Blanche’. Et ce con (sourire en coin, NdlR.) me dit ‘C’est toi qui as écrit ça ?’. Là, il m’a vexé. J’ai répondu que c’était moi mais qu’il n’avait pas à avoir peur parce que je ne la chanterai pas puisque je n’ai pas une tête à chanter ‘Blanche’. ‘Mon grand, tu vas la chanter et tu vas faire un tabac. C’est une chanson sublime’, m’a-t-il répondu. J’avais les chocottes la première fois que je l’ai chantée sur scène. J’avais peur que les gens rient dans la salle. Maintenant, ils la réclame nt ; elle est incontournable.”
Tournée d’adieux provisoires… Voilà qui ramène aussi à Charles Aznavour qui a fait une très longue tournée d’adieux. Ou à Bob Dylan…
“Oui mais eux, ils ont tous fait dix fois des adieux. Moi, je suis plus honnête en disant qu’ils sont provisoires. C’est plus faux-cul mais ça veut dire que vous pouvez vous attendre à ce qu’un jour je parte sur la pointe des pieds ou alors vous m’avez dans les pattes encore pour trois ans. Ceci étant, je crois vraiment que d’ici une paire d’années, je vais partir à la pêche au saumon parce que les saumons m’attendent. Prendre la voiture, la guitare, les répétitions, les concerts, ce sera terminé. Mais je n’ai pas dit que j’allais arrêter d’écrire. Tant que je n’aurai pas trop d’air dans le citron et un peu d’encre dans mon stylo, j’essayerai de faire sortir ce qu’il y a dans ce stylo.”
Sans indiscrétion, vous avez combien de projets en cours en ce moment ?
“Je viens d’écrire cinq nouvelles chansons et quatre autres sont en chantier. J’ai une édition de mon Parler des métiers qui va être augmentée de plus de 3000 entrées que j’ai récolté depuis 15 ans. C’est l’œuvre de ma vie, j’ai mis 14 ans à le faire. Ça a été couronné, entre autres, par l’Académie française et on le trouve dans toutes les universités de langue française, que ce soit au Canada, en Belgique, en Suisse, etc. Et je viens de terminer l’écriture d’un roman sur ma grand-mère qui s’appelle Anna. Elle a tenu une grande place dans ma vie d’enfant.”