Concours Reine Elisabeth: joyeux puis tragique, les deux visages de Petar Pejcic
D’abord prudent puis joyeusement libéré dans l’imposé de Widman, le benjamin des finales se révèle tragédien puissant dans Chostakovitch.
- Publié le 30-05-2022 à 23h01
- Mis à jour le 04-06-2022 à 00h09
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Les 5 Albumblätter (feuilles d’album de Jörg Widmann ouvrent tant de directions possibles qu’on se demande lesquelles Petar Pejčić va choisir d’explorer. L’Adagio ohne Allegro initial le révèle prudent, se frayant vaillamment un chemin dans un monde qui ne lui est pas totalement familier. L’exigent rythme piqué de Liebelei mobilise toute sa concentration, et on voit ses yeux scrupuleusement osciller entre la partition et le regard bienveillant de Stéphane Denève qu’il cherche régulièrement. Pas sûr que tout l’univers référentiel qui sous-tend l’œuvre de Widmann puisse être perçue par un jeune musicien de 20 ans, aussi talentueux soit-il, mais le Lied im Volkston central le montre enfin libéré, attestant d’un beau lyrisme qu’il prolongera dans la Bossanova. Gagnant peu à peu en assurance, le jeune violoncelliste serbe s’affranchit encore, électrise la cadence qui annonce le Mit Humor final et y met un tel cœur que la salle éclate en applaudissements enthousiastes et approbateurs. Stéphane Denève l’applaudit chaleureusement aussi, avant de se tourner vers Jörg Widmann, comme il l’avait déjà fait une heure plus tôt après la création de l’œuvre – et comme il le fera sans doute après les dix autres exécutions prévues cette semaine, tout au moins si le compositeur – comme c’est l’usage - revient écouter tous les autres candidats.
C’est un autre Petar Pejcic qu’on découvre ensuite. Le deuxième concerto en sol majeur de Chostakovitch, qu’il a choisi, est manifestement un univers qui lui est plus familier : du coup, nonobstant ses vingt ans, il prend le contrôle des opérations. Les regards – plus rares – qu’il adresse à Stéphane Denève ne sont plus en recherche de validation, mais semblent plutôt dire « Ça va, vous me suivez ? ». Dans le largo d’entrée, la technique reste très sûre, comme le délié de l’archet ou la rondeur de la sonorité, mais le discours se fait poignant et parfois presque décharné. Même intensité dans l’allegretto central, à la fois autoritaire et bouleversant. A la faveur d’un bref tutti d’orchestre, c’est un kaléidoscope d’émotions qui se lit sur le visage du jeune homme, avec une conjonction de rictus tout à la fois inquiétants, hallucinés et jubilatoires. Une riche palette de nuances qu’on retrouve dans son jeu, jusque dans les complexes pizzicati tout à la fin de l’œuvre.