Matthieu Chedid : "Je suis convaincu que je ne sais pas faire de tubes"
L’auteur-compositeur français est de retour avec un septième opus. Un disque aux accents funk et pop, conçu comme une ode à l’enfance. De grands musiciens américains l’ont rejoint dans l’aventure.
- Publié le 03-06-2022 à 17h50
- Mis à jour le 03-06-2022 à 17h51
Sur son album précédent, Lettre Infinie, le personnage fantasque de - M - déployait des teintes blanches et dorées. Il revient, cette fois, paré de violet pour illustrer Rêvalité. Une couleur obtenue du mélange du bleu, associé aux rêves pour sa douceur et sa nébulosité, et du rouge, vif et intense, à l'image de la réalité. Le mot-valise qui donne le titre du septième opus de Matthieu Chedid joue autour de la rivalité entre deux mondes que l'on imagine opposés. L'auteur-compositeur l'avoue lui-même, "ça fait un peu jeu de mots facile." Ce terme inventé lui permet néanmoins d'apposer une narration au projet. "Il s'agit d'une prise de conscience. Un homme sans rêve ne peut pas vivre. Le rêve et la vie sont totalement reliés. Le monde du cœur est beaucoup plus libre que ce que l'on ne pense."
Conserver une âme d’enfant
À sa manière, le guitariste s'inspire des mots de sa grand-mère, Andrée Chedid, grande poétesse et romancière décédée en 2011. Pour elle, la poésie reste trop souvent perçue comme coupée de la vie, imaginée comme un simple outil d'évasion. Elle fait, pourtant, pleinement partie de la réalité. Les rêves aussi. "Cette rêvalité peut tous nous toucher. Elle se connecte à notre âme d'enfant. Je viens d'être une nouvelle fois papa. Un bébé qui n'est pas encore conscient de son potentiel créatif est l'essence même de l'artiste. Toute notre vie, on cherche à garder ou retrouver cette âme d'enfant", défend-il. Sur "Mogodo", on entend son père, Louis Chedid, lui chanter une berceuse. Dans "Fellini", il confesse que, dans ses rêves, il a juste huit ans et demi.
À 50 ans, Matthieu Chedid tient à conserver un côté ludique, avec son masque et ses déguisements et une part d'humour, sur soi, les autres, le monde. L'âge et les attentes liées à celui-ci ne sont finalement qu'un concept. "J'ai eu la chance de rencontrer Edgar Morin, un philosophe qui a 100 ans. Il disait qu'on était idiot de se figer dans un âge. On a tous les âges en nous. Cela dépend de l'heure de la journée, du moment de la vie, rapporte le chanteur. On peut être courbaturé, avoir 102 ans et tout d'un coup redevenir un nouveau-né et être émerveillé par quelque chose qui vient d'arriver. Je m'amuse alors, parfois, à avoir huit ans et demi."
{{2}}Des rencontres inattendues
Cette vision lui permet également de délaisser le côté trop "cérébral" et "mental" de la création. "Je crois qu'il est important de laisser de la place à son inconscient, à des éléments qui t'échappent. C'est quand je ne maîtrise pas les choses ou qu'elles viennent naturellement que c'est bon signe." À l'image de sa rencontre inattendue avec la bassiste légendaire de David Bowie et Lenny Kravitz, Gail Ann Dorsey. Cette dernière recherchait un lieu où répéter en France pendant le confinement. Matthieu Chedid lui prête alors son petit studio parisien. Ils se rencontrent quelque temps plus tard, dans sa maison familiale en Seine-et-Marne.
Timidement, l'artiste le plus récompensé aux Victoires de la Musique lui demande si elle ne veut pas jouer un peu de basse sur son album qu'il est en train d'enregistrer. Contre toute attente, elle devient la bassiste attitrée et la voix féminine du disque. Elle sera aussi présente sur les 150 dates de la tournée. "Elle apporte sa touche américaine et une basse paisible, profonde et élégante." Cette rencontre, Matthieu Chedid l'avait rêvée quelques mois plus tôt. Pour lui, celle-ci tient davantage de la providence que du hasard.
"Stevie Wonder dans mon salon"
Peu après, le jazzman américain le plus en vue du moment, Jon Batiste, vient se reposer dans cette même maison après avoir gagné l'Oscar pour la bande originale du film d'animation Soul. "Je ne voulais pas l'embêter à lui demander de jouer sur mon disque. Il était là, chez moi, un peu déphasé par le décalage horaire. Il m'a demandé si j'étais partant pour faire de la musique ensemble. Évidemment que je l'étais ! J'avais l'impression d'avoir Stevie Wonder dans mon studio, le mec joue comme un génie, c'est un grand musicien." Il finit par jouer du mélodica pour "Fellini" et "Mais tu Sais", du piano pour "Une étoile qui danse" et de l'orgue pour "Ce jour-là".
La "Flying M"
"Tout s'est fait de manière très naturelle. L'album porte très bien son nom." Même la guitare électrique qui accompagne cette nouvelle époque de - M - lui est parvenue de façon spontanée. "Un jeune homme m'a contacté sur les réseaux sociaux en me disant qu'il voulait me faire une guitare. Je ne le connais pas, il n'a même pas 30 ans. On discute un peu. Il a rencontré mes luthiers et a fini par me faire cette guitare, que l'on a appelée la Flying M. C'est quand même fou et improbable."

"Je suis convaincu que je ne sais pas faire de tubes"
Musicalement, les treize nouveaux titres suivent le concept du disque et évoluent, eux aussi, entre rêve et réalité. La première partie plonge dans le funk, le disco, le ska, le rock, des sonorités africaines. La deuxième, elle, se montre plus tendre, avec guitares acoustiques et ballades. "Au fil de l'album, j'ai eu envie de commencer par quelque chose de très terrien, qui s'apparente à la réalité pour aller de plus en plus vers l'onirisme, le cosmique", précise Matthieu Chedid. Quand il compose, le guitariste français garde avant tout la scène en tête. "Je ne voulais pas faire que des chansons mélancoliques ou douces. Ce serait ennuyeux. J'aime bien les chansons énergiques. La chanson gaie est, pour moi, un art beaucoup plus subtil"
Dans le single "Dans ta radio", vous évoquez un "tube FM éphémère". Vous pensez parfois à la longévité, à l’impact sur le long terme de vos titres ?
Je pense à ça tout le temps. C’est étonnant. Je ne sais pas si c’est l’envie de laisser une trace artistique ou si c’est la conscience de la transmission que je ressens avec ma grand-mère, par exemple, qui est toujours aussi présente alors qu’elle n’est plus là. Au-delà de ça, j’aime bien l’idée que, quand je fais une chanson, même dans sa forme, elle aurait pu être écrite il y a 25 ans ou se faire dans 25 ans. De ne surtout pas être à la mode, de ne pas utiliser les arrangements du moment. Ce sera de toute manière déjà ringard dans un an. Je trouve ça un peu pathétique aussi quand tu as 50 ans de vouloir imiter ceux qui en ont 18. Le temps met les choses à la bonne place. Une chanson peut ne pas du tout avoir d’importance au moment où tu la crées, car elle n’a pas d’histoire. La même chanson, 50 ans plus tard, peut devenir intouchable. La chanson n’a pas bougé, mais l’histoire oui. Le temps peut donner de la valeur aux choses.
Vous l’observez avec vos titres phares à chaque concert. Le public ne se lasse pas "Qui de nous deux" ou de "Machistador", même 20 ans après. Qu’est-ce que cela vous fait ?
C’est toujours étonnant de parler de chansons comme des évidences. Alors que la même chanson, quand je l’ai faite, n’avait aucun intérêt pour les gens. C’est important de savoir ça. C’est un peu comme - M -. Quand j’ai créé ce personnage, certaines personnes se fichaient bien de moi. On ne trouvait pas ça si génial que ça au début. Et les mêmes personnes qui se moquaient de moi me demandent aujourd’hui de m’habiller en - M -. Elles sont très sincères dans les deux cas. Il faut laisser du temps aux choses pour qu’elles s’installent et s’imposent. Une chanson peut sauver une vie comme elle peut passer inaperçue. Les deux sont réels.
Faire des tubes, cela reste-t-il pour autant un objectif ?
Je suis convaincu que je ne sais pas faire de tubes. Je pense par contre que Jean-Jacques Goldman ou Michel Berger savent en faire. Ils ont un certain savoir-faire. Moi, je n’ai pas du tout cette sensation-là. J’ai davantage l’impression d’avoir créé un univers, de posséder une âme d’enfant et de me laisser une liberté absolue. "Dans ta radio" est un rocksteady un peu reggae. On n’est pas du tout dans l’air du temps. C’est peut-être la dernière chose qu’il faut faire si tu veux faire un tube aujourd’hui. Le public est beaucoup plus ouvert que les gens du métier, qui, eux, sont davantage conditionnés. Le public s’en fiche des algorithmes. C’est lui qui donne de la valeur aux chansons.
--> En concert le 14/10 à Forest National (Bruxelles)