Concours Reine Elisabeth : la Coréenne Hayoung Choi première lauréate, la Belge Stéphanie Huang remporte le prix du public
Les finales du Concours Reine Elisabeth se tenaient toute cette semaine. Le jury a tranché ce samedi soir. Victoire méritée de l’audacieuse candidate coréenne. Le jury a privilégié l’expressivité et l’émotion.
Publié le 04-06-2022 à 00h26 - Mis à jour le 05-06-2022 à 10h47
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C'est peu après minuit que Gilles Ledure et les membres du jury sont revenus sur la scène de Bozar pour annoncer le palmarès. Et, comme on pouvait l'attendre et l'espérer, la victoire de la Coréenne Hayoung Choi, qui avait fasciné et séduit mercredi en osant le concerto de Lutoslawski. Une victoire incontestable et mille fois méritée de l'intelligence (du choix), de la virtuosité mais aussi de l'expressivité.
Derrière elle, les deux accessits reviennent aux candidats qui ont joué le premier concerto de Chostakovitch. L'argent revient au Chinois Yibai Chen, qu'on venait d'entendre une heure plus tôt, un candidat de vingt ans pour lequel, selon la formule consacrée, la valeur n'attend pas le nombre des années. Et le bronze à l'Estonien Marcel Kits, un choix peut-être plus surprenant mais assurément mérité.
Le quatrième prix va à Oleksiy Shadrin, qui avait si bien traduit tout le drame de son pays avec la symphonie concertante de Prokofiev, le cinquième au Serbe Petar Pejcic qui nous avait livré lundi un hallucinant et halluciné deuxième concerto de Chostakovitch, et le sixième au Canadien Briyan Cheng, qui avait joué Dvorak avec tant de flamme.
L'ordre des six autres lauréats – dont la Belge Stéphanie Huang – n'est, selon la coutume, pas connu, mais on aura compris que le jury de cette session 2022 a privilégié l'expressivité et l'émotion.
Notons également que les deux prix du public, l'un décerné par les auditeurs de Klara et les téléspectateurs de Canvas, l'autre par l'audience de Musiq3 et La Trois, ont été remis à la Belge Stéphanie Huang.
Voici notre critique de la prestation de Hayoung Choi
Là où la plupart de ses collègues (sauf Marcel Johannes Kits) s'étendaient sur deux lutrins, Hayoung Choi a fait des collages dans sa partition des 5 Albumblätter de Jörg Widmann pour qu'elle tienne sur un seul lors de la finale du concours. Signe d'aisance ? C'est avec beaucoup d'élégance, de classe même, qu'elle a abordé l'Adagio ohne allegro. Sourire en coin, presque mutine, elle s'est promenée dans Liebelei comme si c'était la pièce la plus simple et la plus familière de son répertoire. Mais, l'air de rien, le son était affirmé, superbement projeté. Éminemment lyrique dans le Lied im Volkston (avec des battements de cils presque synchronisés avec les oscillations de son vibrato), elle a conclu, tout aussi souriante, chaloupée avec un stupéfiant naturel dans la Bossanova et concluant d'éclatante façon avec la cadence Mit Humor. Si Jeremias Fliedl était Harry Potter, elle est Luna Lovegood sous le regard bienveillant de Hagrid Denève.
Étonnant ! Il aura fallu attendre 2022 pour qu’une œuvre de Witold Lutoslawski (1913-1994) soit jouée en finale au Concours Reine Elisabeth. Il est vrai que le grand compositeur polonais n’a pas laissé de concerto pour violon, et que personne, depuis sa création en 1988 par Krystian Zimerman, n’a osé proposer son concerto pour piano. Alors voici, en cette deuxième session de violoncelle, son concerto pour cet instrument, créé - et inspiré - par le grand Mstislav Rostropovitch en 1970.
Humour, sensualité, précision des attaques et netteté rythmique : avant même que l’orchestre ait joué une note, Choi se montrait tellement formidable dans la longue cadence qui ouvrait le concerto qu’on comprenait qu’elle était déjà en train de monter sur le podium. Les attaques des trompettes, les stridences des cuivres, les unissons des cordes, les cascades de percussions, rien ne la démontait évidemment. Parfaitement concentrée, éminemment musicale, elle gardait le cap et la direction des opérations. Voir ce concerto si rare recréé sous ces doigts est un moment fascinant, qui rendait presque obsolètes les concertos plus traditionnels. L’expérience a transcendé les limites d’un concours.
Stéphanie Huang prix du public du Concours Reine Elisabeth

Alors que Hayoung Choi a été désignée lauréate du concours consacré au violoncelle, la jeune Belge a remporté le prix du public (remis par les auditeurs de Klara et les téléspectateurs de Canvas) pour son affrontement de Dvorak avec passion et maîtrise. Voici notre critique de sa prestation en finale mardi dernier :
Tonnerre d’applaudissement à l’arrivée sur scène de notre compatriote Stéphanie Huang, 26 ans, qui, après avoir chaussé ses lunettes et observé un moment touchant de concentration, a plongé dans la première page du chatoyant Album de Jörg Widmann. Entrée franche, dessinée dans des sonorités claires et élégantes, pas très puissantes, ce qui entraîne hélas un déséquilibre avec l’orchestre et, partant, un défaut d’intensité ou de lyrisme dans les deux premiers mouvements, en place sans plus. Réserve qui s’est effacée dans le « Lied im Volkston » suspendu, lumineux, poétique (dans un environnement orchestral qui a fait irrésistiblement pensé à notre cher Philippe Boesmans), mais la trépidante « Bossanova de Clara et Robert (oui !) » gardera le même caractère intimiste, quasi à contre sens du joyeux déchaînements qu’il implique. Belle cadence et fin éclatante « Mit Humor ».
Avec le Concerto de Dvorák, la gracieuse Stéphanie Huang s’est lancé un défi, notamment celui de tenir tête à l’énorme orchestre voulu par le compositeur. L’introduction du Brussels Philharmonic n’aviat rien de rassurant à cet égard mais dès l’entrée de la soliste, et sous la baguette attentive de Stéphane Denève, l’alliance s’est installée dans les rapports de puissance avec l’orchestre ; et c’est évidemment dans l’épisode lyrique central du mouvement que s'est fait vraiment entendre la « voix » de la musicienne, sa lumière, sa magie. Qu’il soit permis quand même de regretter que dans ce contexte, l’orchestre n’ait pas adapté le caractère des énormes tutti entourant les parties solistes, notamment lors de la fin du premier mouvement, aux limites du brutal. Moment de grâce, par contre, dans le début du poignant Adagio (aux contrastes véhéments et désespérés), guidé par le jeu engagé, intense et sensible de la jeune-femme, ici véritable maîtresse de cérémonie. Et elle le restera dans le troisième mouvement, lancé avec autorité et doté de la saveur populaire qui en fait le charme. Stéphanie Huang le tiendra fermement, passionnément, unie à l’orchestre sans jamais rien en montrer (un seul coup d’œil, craquant mais fugitif, au premier violon avant la coda) et soulevant une irrésistible émotion. Nouveau tonnerre d’applaudissements…