Concours Reine Elisabeth : "Lutoslawski, c’était un saut dans l’inconnu… "
Rencontre avec la première lauréate, la Coréenne Hayung Choi.
Publié le 05-06-2022 à 17h22 - Mis à jour le 05-06-2022 à 17h30
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Au lendemain d’une proclamation de finale, 11h du matin, c’est l’aube… C’est pourtant l’heure du rendez-vous avec la première lauréate de cette session violoncelle 2022. Arrivée au bureau du Concours en compagnie de sa jeune sœur, Songha, elle-même violoniste, et du père de sa famille d’accueil, Hayoung Choi est immédiatement été happée dans un bureau annexe pour des questions de planning et l’heure tourne (un peu) : autant en profiter pour déjà s’informer auprès des proches… Nous apprenons ainsi que Hayoung est la deuxième d’une famille de trois filles – toutes trois musiciennes - dont les parents ont embrassé des carrières universitaires. Le papa est professeur d’histoire, spécialisé dans l’étude de l’Allemagne contemporaine, ce qui explique pourquoi Hayoung est née - en février 1998 - dans la ville de Bielefeld où son père était en mission. Après le retour de la famille à Séoul, Hayoung y a suivi sa première formation musicale, avant de se rendre à Londres, à 13 ans, puis à la Kronberg Academy (dans le Taunus, en Allemagne) puis à Berlin où elle séjourne aujourd’hui.
Hayoung Choi est revenue de sa réunion, l’entretien peut commencer, nous entrons dans le vif du sujet en commençant par la fin.
Comment vous sentez-vous ce matin ?
Il y a eu beaucoup de mouvement, la nuit fut courte, j’ai reçu tant de messages, venant de partout, de ma famille, de mes amis, je suis un peu sonnée… (sobre). Je suis honorée par ce prix et j’ai une immense reconnaissance pour le Concours, pour le jury, pour le public, pour tous ceux qui m’ont accompagnée et soutenue.
Au cours des premières épreuves, là où vous pouviez vous-même décider de votre programme, vous avez opté pour des œuvres particulièrement exigeantes de la fin du XXe siècle : le Cappriccio de Penderecki en demi-finale, et le Concerto de Lutoslawski en finale, vous attendiez-vous à rencontrer un tel succès, y compris auprès du public ?
J’ai découvert la pièce de Penderecki il y a cinq ans et j’ai immédiatement senti qu’un lien nous unissait, je l’ai travaillée dans tous les sens et souvent jouée en public. Aujourd’hui, elle fait partie de moi, j’aime la jouer en concert et je crois que le public le ressent. Mais il n’y a pas que Penderecki dans ma vie (rire), j’avais aussi placé Britten et Schubert à mon programme de récital !
Le Concerto de Lutoslawski représente un tout autre défi puisque cette œuvre, construite comme un violent combat entre le violoncelle et l’orchestre, comporte une dimension aléatoire quasi inimaginable dans le contexte d’un concours.
C’est effectivement un défi et même un triple défi puisque c’était une première non seulement pour moi, mais pour le chef et pour l’orchestre. J’ai eu une première entrevue avec Stéphane Denève pour établir une stratégie et définir nos codes de communication, puis une heure de répétition avec l’orchestre, dans laquelle il a fallu également caler l’œuvre de Widmann (très stimulante !), plus un raccord avec l’orchestre le jour même.
Distinguer le violoncelle qui parle et celui qui chante
Et au moment même ?
C’était un saut dans l’inconnu, j’étais très nerveuse. Ce concerto comporte une forte composante théâtrale, expressive et, bien entendu, émotionnelle. C’est un drame qui se joue en direct, qui sollicite très fort l’imagination et dans lequel il faut distinguer les dialogues « parlés » - qui procèdent d’une véritable rhétorique de l’instrument - et les dialogues « chantés ». Le concerto démarre par une longue cadence – strictement notée par le compositeur mais avec une certaine liberté dans l’aménagement des tempos - durant laquelle je joue seule, et c’est un atout. Au début, mon cœur battait très fort mais, progressivement, j’ai senti que ça marchait, que la salle était avec moi et je me suis détendue. Et à partir de là je me suis sentie libre de prendre ma part dans le jeu, et, en réponse, les musiciens de l’orchestre ont été formidables…
Était-ce votre premier concert en Belgique ?
Non, j’avais déjà été invitée par le Centre Culturel Coréen de Bruxelles, ainsi que dans la série Next Generation de Bozar Music, mais ce dernier concert a été annulé suite à la pandémie.
Jouerez-vous le Concerto de Lutoslawski lors de votre tournée de lauréate ?
Je crains que ce soit trop compliqué avec de nouveaux orchestres (rires). Je vais plutôt proposer un beau concerto de répertoire, ou les Variations Rococo de Tchaïkovski, par exemple…