Eric Clapton, la classe et la claque
Le musicien de 77 ans a donné un brillant concert au Palais des Sports d’Anvers dimanche soir, rendant au passage hommage aux musiciens noirs qui l’ont inspiré.
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- Publié le 13-06-2022 à 07h48
- Mis à jour le 13-06-2022 à 07h50
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Finalement, « E.C. was here », à Anvers, dimanche soir, après deux reports successifs pour cause de confinements auxquels il était d’ailleurs fermement opposé, au point de pondre deux chansons militantes, avec le vieux Van Morrison. Cela fait une bonne dizaine d’années qu’on n’a plus vu « God », dit aussi « Slowhand », en Belgique, et le voilà qui réapparaît enfin, dans un Palais des Sports d’Anvers plein comme un œuf.
Le natif de Ripley, dans le Surrey, n’est pas venu seul, pour cette tournée européenne de dix-sept dates. Dans sa formation de cinq musiciens et deux choristes, on retrouve de vieilles connaissances, comme le bassiste Nathan East, les claviéristes Paul Carrack et Chris Stainton, les chanteuses Katie Kissoon et Sharon White qui suivent Eric Clapton depuis une trentaine et une vingtaine d’années respectivement. Rejoints par Sonny Emory à la batterie et Doyle Bramhall à la guitare, ils constituent une fine équipe.
La zique d’abord
D’entrée de jeu, avec « Pretending », on découvre cette formidable machine, bien rodée, puissante et équilibrée. Mister Clapton se fend déjà d’un bon petit solo pas piqué des hannetons et tant attendu par le public. Sur la large scène anversoise, aucun décor, à part un ciel sur lequel sont projetées des images, souvent en gros plan, toujours en noir et blanc, des solistes. Quant aux éclairages, discrets, ils sont là juste pour un peu d’ambiance et surtout pour souligner la profondeur de la scène, c’est tout : Clapton 2022, c’est priorité à la zique.
Et comme il a raison ! De manière assez classique, le spectacle est découpé en trois parties, début électrique, milieu acoustique, final rebranché sur le secteur. La partie centrale, tout le monde assis, rappelle évidemment l’album « MTV Unplugged », paru en 1992, et qui valut à Clapton son plus grand succès commercial. Comme quoi… D’ailleurs, sur les quatre titres joués en débranché, trois figurent sur l’album de 92 : « Nobody Knows You When You’re Down and Out », criant de vérité, « Layla », dont l’entêtante mélodie se révèle plus encore dans le dépouillement sonore, et « Tears in Heaven », poignante tentative de consolation après la mort de son fils Conor, décédé accidentellement à l’âge de 4 ans, en 1991.
Joyeux anniversaire, Julie Rose
Cette partie acoustique, où l’on a l’impression de retrouver la guitare Martin de l’ « Un plugged », est une sorte de retour à une version rurale du blues. Le musicien anglais en profite pour fêter, avec toute la salle, le 21e anniversaire de sa fille Julie Rose, en un vibrant « Happy Birthday ». Dans un moment comme celui-là, il peut mesurer combien il est lui-même apprécié.
Les deux parties électriques s’inscrivent dans la grande tradition des couplets et refrains relayés par des solos instrumentaux. Dans le blues lent « Little Queen of Spades », tous les solistes se déchaînent, y compris le guitariste Doyle Bramhall avec son air de pirate des Caraïbes. Clapton lui-même fait parler la poudre avec sa Stratocaster. À l’orgue Hammond, Paul Carrack n’est pas en reste, imposant son style groovy tout au long du concert. « Musicien largement sous-estimé », nous dit Paul Ambach, claviériste et chanteur, connu sous le nom de Boogie Boy. Carrack prend d’ailleurs le micro sur « How Long », dans un style vocal proche de Van Morrison.
Slowhand mon œil !
« C’est un pirate du rhythm’n’blues », analyse encore Paul Ambach, à propos de Clapton. « How Long » en est l’évidence même, où il déploie un jeu brillant, pas démonstratif, mais Slowhand mon œil ! Avec un son plus crade, « Crossroads » est la quintessence du R&B, où les deux chanteuses s’en donnent à chœur joie.
Au fil du concert, les titres s’enchaînent admirablement. Haute et forte, la voix de Clapton gagne en présence et en puissance. Avec des titres connus comme « Cocaine » ou « I Shot the Sheriff », le musicien de 77 ans, en grand professionnel, répond aux attentes du public, mais pas seulement. Du titre de Bob Marley, tout de même élimée aux manches, il donne un excellente version, bien plus vivante que l’originale, parue en 1974 sur le merveilleux album « 461 Ocean Boulevard ».
À la croisée des chemins
Une remarque encore : sur les quinze chansons du concert anversois, douze sont des reprises. Sans surprise, on en trouve deux, « Crossroads » et « Little Queen of Spades », de Robert Johnson (1911-1938), bluesman du Mississippi à l’influence incommensurable. À côté de « Nobody Knows You When You're Down and Out », standard de Jimmy Cox datant des années 1920, on trouve « Hoochie Coochie Man », classique de Willie Dixon maintes fois repris, notamment par John Mayall et Alexis Korner, pères du blues anglais, et Jimi Hendrix.
Par ailleurs, la version que donne Clapton de « Little Queen of Spades » fait fort penser à B.B. King, avec lequel il a enregistré « Riding with the King » en 2000. Certes, l’Anglais a bien exploité, toute sa carrière durant, des idiomes blues et rhythm’n’blues qui, à la base, n’étaient pas les siens. Mais le « pirate » sait rendre justice aux musiciens noirs auxquels il doit tout ou presque.