Paul McCartney, l’éternel génie créatif
L’ex-bassiste des Beatles fête ses 80 ans ce 18 juin. Il est toujours sur tous les fronts : albums, concerts, etc.
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Publié le 18-06-2022 à 08h09
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Il n'y a pas d'âge pour se faire plaisir. Telle aurait pu être la devise du blason de sir Paul - il a été anobli par la reine d'Angleterre (dont il était fou amoureux jeune adolescent) en 1996 - s'il n'avait pas opté pour Ecce cor meum (Voici mon cœur) extrait d'un oratorio de son cru composé en 2001. À 80 ans, le bassiste des Beatles semble encore s'amuser comme un fou. Sur scène tout d'abord, où il donne des concerts de plus de deux heures. C'était le cas sur la tournée nord-américaine Got Back qu'il vient tout juste d'achever ce jeudi. Et ce le sera aussi le 25 juin prochain sur la scène du festival de Glastonbury où il deviendra la personnalité la plus âgée à s'être jamais produite. Il va détrôner Charlie Watts qui détenait jusqu'ici le record. Le batteur des Rolling Stones avait 72 ans lorsqu'il s'y était montré pour la dernière fois.
On ne compte plus non plus les frasques auxquelles "Macca" (c'est un de ses surnoms) se prête avec plaisir comme un ado tout à la joie de faire un bon tour à quelqu'un. Étonnant pour une star qui a tout vu, connu, tout expérimenté, avec en prime le statut de légende. Comment ne pas vous recommander de visionner sur Internet (YouTube, Dailymotion, etc.) le numéro de la séquence "Carpool Karaoke" du Late Late Show de James Corden diffusée le 21 juin 2018. Elle a été tournée à Liverpool, ville d'où sont originaires les Beatles, et est devenue culte. Elle a été visionnée près de 66 millions de fois sur la seule plateforme YouTube ! On y voit James Corden et Paul McCartney parcourant la ville en voiture tout en chantant à tue-tête "Penny Lane", "Let It Be" et l'évident "Drive My Car". Ils s'arrêtent dans les lieux emblématiques liés à la carrière du chanteur. Celui-ci commente avec moult anecdotes à la clé. C'est savoureux.
Jukebox
Mais le clou de l’émission est à venir et se déroule dans un bar où McCartney, Lennon et consorts ont débuté, bien avant d’investir la fameuse Cavern et de connaître le succès. Dans la salle, les clients ne se doutent de rien. James Corden invite une jeune femme à choisir un titre dans le jukebox. Un rideau s’ouvre et à la surprise générale, Paul McCartney et ses musiciens apparaissent et interprètent "A Hard Day’s Night". Les clients n’en croient pas leurs yeux, ils se ruent sur le jukebox pour remettre des pièces et le show : "Back in the U.S.S.R.", "Ob-La-Di, Ob-La-Da", "Hey Jude"… Les gens de la rue se précipitent dans le pub. Le chanteur et son équipe s’amusent comme des gamins et nous, on a la chair de poule en voyant ce septuagénaire se donner comme s’il était encore dans un groupe de collégiens.
Et que dire de sa prestation dans le Tonight Show de Jimmy Fallon où il s'est aussi prêté avec joie au jeu de la caméra cachée en surprenant des touristes venus visiter le 30 Rock, un immeuble emblématique de New York. Lorsque la porte de leur ascenseur s'ouvre, ils se retrouvent nez à nez avec l'ex-Beatles qui s'amuse de leurs réactions.
En studio également, il s'en donne à cœur joie, que ce soit avec l'excellent Egypt Station paru en 2018 et plus récemment avec le tout aussi bon McCartney III, 18e production en solo, sur lequel il joue de tous les instruments. Une grosse claque qui ravive des souvenirs musicaux par dizaines et démontre, si c'est encore nécessaire, tout le génie créatif, les talents de mélodiste et d'arrangeur de l'ex-Fab Four. L'un comme l'autre se sont hissés à la première place du Billboard, le classement de référence aux États-Unis, ce qui n'était plus arrivé depuis la sortie de Tug Of War en 1982.
Une source non tarie
"Il ne déçoit pas. Egypt Station est un disque incroyable, souligne François Plassat, fan absolu du bassiste et auteur de la biographie francophone de référence consacrée à McCartney, L'empreinte d'un géant (éd. JBZ et Cie). À plus de 70 ans, ce type n'était toujours pas fatigué de faire des albums de cette qualité. Il est toujours en quête de choses qui l'excitent. Il a certainement conscience qu'il ne fera jamais mieux que des chansons des Beatles mais il est toujours en quête d'excellence et d'offrir des disques plaisants pour le public, que l'on peut chanter ou écouter sans qu'il y ait des prises de position. Il arrive à garder un côté léger et ne passe pas son temps à se gratter les croûtes. C'est admirable." Il est aussi le seul de sa génération, celle des Stones, de Bob Dylan, d'Elton John, à ne pas avoir jeté l'éponge en continuant à produire des disques réjouissants, ajoute-t-il.
Pour François Plassat, Egypt Station, c'est l'album d'un jeune homme. "Il se permet tout, il ose tout, même si ça reste du McCartney. Pour un type de son âge qui a tout fait, qui a tout vu et reçu toutes les récompenses, il garde une fraîcheur étonnante. On se demande après qui il court ? En fait, il continue à se faire plaisir. C'est ça son moteur. Il reste curieux. Il continue à travailler avec des gens de plus jeunes générations. Il arrive à encore surprendre."
On peut en dire autant de McCartney III sorti mi-décembre 2020. Des titres comme le réjouissant et très Beatles "Find My Way" ou les prenants "Women and Wives" et "Deep Deep Feeling" démontrent que la source n'est pas tarie. Que du contraire, elle semble même s'être régénérée. Et s'il est vrai que la grande majorité du public de Paul McCartney est aujourd'hui constituée de celles et ceux qui le suivent depuis très longtemps, ce disque démontre qu'il touche aussi les générations plus jeunes. La preuve avec McCartney III Imagined, un disque sur lequel Damon Albarn, St. Vincent, 3D RDN, Phoebe Bridgers et autres Josh Homme (du groupe Queens of the Stone Age) revisitent à leur sauce les titres de McCartney III. N'hésitez pas à écouter et réécouter la magnifique version de "Find My Way" proposée par Beck sur cet album et son clip vidéo dans lequel "Macca" s'invite. C'est un pur bonheur et tellement dans l'esprit du bonhomme.
"Gentil garçon"
Soixante-deux ans après la formation des Beatles, après l’aventure Quarrymen, soixante ans après la sortie de leur premier single "Love Me Do", Paul McCartney est toujours au sommet, ultra-créatif et adulé. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi.
"Il a souffert d'être le gentil garçon. Ce n'est pas Bob Dylan, ni David Bowie ou Mick Jagger. C'est un type assez ordinaire qui a une passion dans la vie : la musique et l'art en général, explique François Plassat. Tous les musiciens qui jouent avec lui confessent que pour eux, ce sont des moments très particuliers mais qu'il fait tout de suite en sorte qu'ils se détendent et soient à l'aise. À l'époque des Beatles, c'était déjà lui qui arrondissait en permanence les angles. C'était le bon gars du groupe , l'ombudsman, le gendre idéal. Il est aussi resté marié trente ans à la même femme. Tout ça a donné de lui une image assez conformiste et pas très en vogue dans les années 70. De plus, aux yeux des gens, il est celui qui a officialisé la séparation des Beatles (en réalité, c'est John Lennon qui a quitté le groupe, NdlR). Il a souffert de tout cela et pendant quelques années, il n'a pas eu une bonne presse, en tout cas dans la presse spécialisée sur le rock. En revanche, le public a toujours répondu présent. Cette période est révolue. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde pour dire que le travail qu'il a accompli et l'œuvre qu'il laisse ne souffrent plus de cela. Ça devient même saint Paul depuis les décès de John Lennon et de George Harrison. L'idée subsiste toujours que c'était Lennon le leader des Beatles, la forte tête et éventuellement le plus créatif, ce qui est absolument faux. Il a été aussi créatif que McCartney mais ce dernier était une force motrice pour le groupe. Sans lui, les Beatles n'auraient pas évolué autant, battu le fer comme ils l'ont fait et sorti autant de disques pour laisser en huit ans l'œuvre que l'on sait. De Love Me Do à Abbey Road, ils ont sorti pas loin de quinze albums quand les groupes d'aujourd'hui en sortent trois dans le même laps de temps. Il a été la colonne vertébrale du groupe et je ne pense pas que le grand public en ait été tout à fait conscient."
Cette image "trop lisse" et les quelques "casseroles" que Paul McCartney a un moment traînées derrière lui ne l’ont pas empêché de devenir, dit-on, le plus gros vendeur de disques au monde. Et pas seulement grâce à la carrière des Beatles !
"Dans les années 70, Wings est un des groupes qui a le plus vendu de disques. C'était un immense succès. Par moments, ils ont même plus vendu que les Beatles à l'époque. C'est incroyable d'avoir relevé de la sorte le défi après les Beatles, s'exclame l'auteur de L'empreinte d'un géant. Il continue aussi de remplir les salles lors de chaque tournée et il n'arrête pas de donner des concerts. À son âge, c'est étonnant. Il a toujours été très actif même si parfois il fait des choses que le public voit moins. C'était, par exemple, le cas lorsqu'il a fait des disques de facture classique. Ça avait moins d'écho médiatique. Quand il ne fait pas des disques, il fait de la peinture. Quand ce n'est pas de la peinture, il fait des bouquins pour les enfants ou il produit des dessins animés. Il n'arrête jamais, il a toujours une casserole sur le feu."
Pour François Plassat, graphiste de profession, qui a beaucoup travaillé pour la maison de disques EMI sur des pubs pour les Beatles et McCartney, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, s’il y a un artiste qui a donné ses lettres de noblesse à la pop et au rock, c’est Paul Mc Cartney. Let it be (Qu’il en soit ainsi).
"Get Back", le documentaire qui explique tout
Pointé du doigt, Paul McCartney s'est toujours défendu d'être à l'origine de la séparation des Beatles. Il n'a fait que prendre la responsabilité d'officialiser la chose après le départ de John Lennon (Ringo Starr et George Harrison ont aussi, chacun à leur tour, à un moment donné, claqué la porte du groupe). "C'était mon groupe, c'était mon boulot, c'était ma vie. Je voulais que cela continue", a-t-il confié en reconnaissant que cette période (1970) a été la plus difficile de sa vie.
Pour se convaincre de l'implication du bassiste dans le processus créatif des Beatles et pour sauver le groupe, il suffit de plonger dans l'extraordinaire documentaire The Beatles : Get Back de Peter Jackson diffusé l'an dernier sur Disney+. En trois épisodes totalisant près de huit heures, il retrace le chant du cygne des Fab Four. On les voit se perdre dans un projet pharaonique d'enregistrer un album en live en quelques jours et devant les caméras, tout un album dans les studios de cinéma Twickenham, pour finalement se "contenter" du désormais mythique concert donné sur les toits d'Apple, leur QG londonien.

Processus créatif
C’est aussi et surtout une immersion sans pareil dans le processus créatif de la formation de Liverpool. Paul McCartney crève l’écran lorsqu’on le voit assis, tout seul, avec sa basse, et qu’il sort les premières notes qui donneront le titre "Get Back". Et on assiste, presque incrédule, à la construction du morceau de bout en bout. Ces quelques minutes valent, à elles seules, le détour. Les caméras et les micros ont aussi capturé ces instants où le ver entre dans le fruit, où John Lennon introduit Allan Klein auprès de ses trois comparses pour en faire le manager du groupe. On comprend toute l’appréhension de Paul McCartney qui pourtant n’arrête pas jusque-là de défendre son copain, même lorsque les autres se plaignent de l’omniprésence de Yoko Ono scotchée à John Lennon y compris pendant les sessions de composition ou d’enregistrement. McCartney était bien celui qui tentait en permanence d’arrondir les angles, de déminer les conflits et de pousser les Beatles vers de nouveaux sommets.