Simon Boccanegra, célébration du chant verdien à l’ORW
Speranza Scapucci clôt son mandat par un rare Verdi. Très belle distribution.
- Publié le 20-06-2022 à 07h42
- Mis à jour le 20-06-2022 à 14h39
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Giuseppe Verdi s'y est repris à deux fois pour finaliser son Simon Boccanegra : l'histoire du Doge de Gênes fut d'abord créée à la Fenice de Venise en 1857, avant d'être largement refondue pour être donnée à la Scala de Milan en 1881. Mais l'œuvre reste rare aujourd'hui : chez nous, les dernières productions remontent à 2004 (Liège) et 1990 (Bruxelles). Pourtant, la musique est superbe, alterne habilement grandes scènes chorales et moments d'intimité, et met une fois de plus en lumière - mais sans doute de la façon la plus aboutie - le thème cher à Verdi de la relation père-fille.
C’est l’ancien ténor Laurence Dale qui signe la mise en scène de cette nouvelle production de l’ORW, avec l’accent mis sur les intrigues familiales. Boccanegra, Doge de Gênes, découvre qu’Amelia, fille adoptive de son ennemi Grimaldi, n’est autre que la fille qu’il a eue lui-même avec Maria, la fille défunte de Grimaldi (qui s’appelait alors Fiesco). Dale réussit très bien la confrontation entre les deux pères au troisième acte : il est plus à l’aise dans les moments intimes que dans les scènes de foule, souffrant de mouvement de chœurs patauds et d’une certaine surcharge. Emblématique est le contraste entre la scène du Conseil d’État, un quasi-péplum qui conclut le premier acte, et le troisième acte, sur une scène vidée où ne reste qu’un trône dérisoire, escalier sans fin perdu devant une image de mer étale et de nuages gris.
Les beaux décors monumentaux de Gary McCann, entre style babylonien et architecture mussolinienne, ont la vertu d’une modularité qui permet de les effacer progressivement. Les costumes de Fernand Ruiz sont, comme de coutume, aussi minutieusement soignés que visuellement séduisants, et les lumières de John Bishop dessinent subtilement l’espace.
Pour sa dernière production comme directrice musicale de l’ORW, Speranza Scapucci met un peu de temps à rentrer dans l’action : le prologue reste anecdotique, voire plat, et les retrouvailles entre Simon et sa fille au premier acte manquent de grâce. Mais dès qu’il s’agit de monter la sauce des grands ensembles, la cheffe italienne retrouve la plénitude de ses moyens et maintient la tension dramatique jusqu’à son terme, d’autant que l’orchestre et les chœurs de la maison (ces derniers renforcés par les effectifs de l’IMEP) sont en belle forme.
Federica Lombardi, star de la soirée
La star de la soirée s’appelle Federica Lombardi : cette soprano italienne surtout remarquée jusqu’ici dans le répertoire mozartien fait d’éblouissants débuts dans le rôle d’Amelia, avec un timbre coloré et soyeux et une puissance vocale stupéfiante qui lui permet les effets dramatiques les plus intenses mais aussi les pianissimi les mieux projetés.
Moins charismatique scéniquement mais vocalement très sûr, George Petean campe un émouvant Boccanegra, tandis que Riccardo Zanellato se montre un Fiesco des plus fiables.
Mais, outre le fidèle Roger Joakim qui incarne le rôle de comprimario de Pietro, ce sont deux chanteurs wallons qui font aussi sensation. À près de soixante ans, Marc Laho reste d’une impeccable tenue et d’une intonation parfaite, avec des phrasés élégants et un contrôle impeccable du souffle, dans le rôle de jeune premier de Gabriele (l’inévitable ténor aimé par la soprano).
Quant à Lionel Lhote, sa silhouette affinée et le métal qu’a gagné sa voix font merveille pour son incarnation de Paolo Albiani, avec un côté incisif et des diminuendos magnifiques : ce rôle de méchant anticipe à l’évidence celui de l’Iago d’Otello.
Liège, Théâtre royal, encore les 21, 23 et 25 juin à 20h - www.operaliege.be