Une rareté: Herreweghe à l’opéra
Le chef dirige une mise en images du "Faust" de Schumann.
- Publié le 23-06-2022 à 19h39
- Mis à jour le 23-06-2022 à 19h40
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Vous avez aimé le Requiem de Mozart par Castellucci à la Monnaie ? Le Faust de Schumann (le titre exact Szenen aus Goethes Faust est abrégé de telle façon qu'on pourrait le confondre avec le Faust de Gounod, mais sans doute est-ce voulu) que propose l'Opéra flamand pourrait vous plaire. Dans un cas comme dans l'autre, on porte à la scène une œuvre qui n'est pas un opéra et n'appelle donc pas en principe un tel traitement, mais dont la musique, reposant sur de grandes masses chorales, recèle un fort pouvoir d'émotion. Ici, plus que dans le Requiem, il y a une histoire, mais le metteur en scène s'en affranchit pour proposer/imposer sa propre (re)lecture.
Yoga sur Mars ?
Ou même ses lectures, puisqu'il y en a deux. Vidéaste plus que metteur en scène, Julian Rosefeldt propose en même temps une illustration vidéo sur un immense écran suspendu au-dessus de la scène, et une action scénique impliquant solistes et chœurs, les deux étant d'ailleurs sans rapport véritable. Le film, c'est d'abord l'évolution imperceptible d'une galaxie (les premières didascalies sont d'ailleurs projetées en texte doré défilant façon Star Wars) où, à force de zoomer en un long plan séquence, la caméra (virtuelle) finit par s'approcher d'une planète rouge (Mars ?) sur laquelle on décèle de mystérieuses ruines. Puis (aux deux tiers de la soirée, qui dure deux heures), on aperçoit un être humain qui court vers une forêt : il rejoint une rave party dont les ralentis en gros plans feront le reste de la soirée. On peut alors regarder plus bas : les êtres vivants qui, pendant la première partie, se contentaient de faire des exercices de yoga, ont été entre-temps dotés de costumes et se meuvent avec un beau sens de la construction. On peut s'agacer des mouvements ralentis à la Bob Wilson (en moins hiératique), et les enfants du chœur, tenus de les imiter aussi, cachent parfois mal leur hilarité, mais l'ensemble, à défaut de faire sens, a de réelles vertus esthétiques.
Le plaisir est avant tout musical, et on le doit à Philippe Herreweghe qui trouve ici une sorte d’apogée d’un travail sur Schumann de près de quarante ans. Loin d’être un habitué des fosses d’opéra, le chef gantois y a, étonnamment, imposé son ex-Orchestre d’Anvers, tandis que le Collegium Vocale de Gand complète l’effectif des chœurs et chœurs d’enfants de l’Opéra flamand. Mais le résultat est superbe dans le sens dramatique, dans les oppositions de masses, dans les polyphonies multiples qui se construisent et se répondent. En dernier recours, on peut regarder le plafond de la salle et se laisser pénétrer par la musique, servie également par d’excellents solistes, parmi lesquels la formidable soprano australienne Eleanor Lyons (Marguerite), l’excellent baryton-basse anglais Sam Carl (Méphisto) et le remarquable baryton autrichien Raphael Fingerlos (Faust) qui, bien que sortant de maladie, fut d’une belle intensité à la première mardi.
>>> Anvers, Opéra, jusqu’au 2 juillet ; à Gand du 28/10 au 4/11 ; www.operaballet.be