Elsa Dreisig triomphe à Aix
Production exemplaire de "Salomé" de Strauss.
- Publié le 07-07-2022 à 14h46
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Pourquoi l’horrible histoire d’une adolescente enragée au point d’exiger la tête d’un homme - d’un saint - continue-t-elle à inspirer les artistes et à toucher le public ? Au-delà de la fascination de l’horreur, du crime, du sang, au-delà de la pulsion brute, Salomé raconte quelque chose sur l’amour et sa radicale impossibilité, ou, disons, son malentendu. La pièce d’Oscar Wilde (écrite en français) en a tous les caractères provocants, l’opéra qu’en tira Richard Strauss - qui fit traduire Wilde en allemand et sélectionna directement les passages qui l’intéressaient - y apporte la profondeur et l’ambiguïté de la musique.
Dans le monde intérieur de Salomé
On peut détester l’histoire, on ne peut pas résister à la déclaration finale de Salomé. La nouvelle production donnée à Aix-en-Provence est confiée à Ingo Metzmacher pour la direction musicale, et à Andrea Breth pour la mise en scène. Ils en célèbrent ensemble la violence et la poésie.
Alors que la pièce prévoit une unité de lieu et de temps, Andrea Breth choisit de distinguer l’univers intérieur de Salomé, placé dans un environnement minéral et désolé, éclairé par une lune immense, sol découpé et mouvant, alternant les obstacles et les gouffres, lumières irréelles et diffuses (Alexander Koppelmann, un génie !), et celui d’Hérode, confiné derrière une longue table aux allures de dernière Cène, où se retrouveront tous les protagonistes, le Tétrarque, sa femme Hérodiade, les religieux juifs, les pages et les soldats, et, déjà sur la table, la tête de Jochanaan, participant aux débats et, sous la table, le corps du charmant Narraboth, suicidé dans l’indifférence générale… Les dispositifs scéniques sont d’une efficacité visuelle et dramatique saisissante, avec une succession de tableaux ouvrant tour à tour au rêve ou à la réalité la plus crue, comme dans la scène finale, dans la fosse du Prophète, sorte de local sanitaire au carrelage pourri, où la tête de Jochanaan gît au fond d’une bassine en plastique.
La musique est celle d’un Strauss de 39 ans, au sommet de ses moyens et de sa liberté de créateur. Savante et complexe, elle est aussi d’une éloquence sans faille, disposant de tous les outils - notamment harmoniques - pour coller mot à mot au texte du livret tout en y adjoignant son propre discours. À la tête de l’Orchestre de Paris (entendu la veille au Stadium de Vitrolles), Ingo Metzmacher en donne une version puissante et colorée, d’une égale maîtrise dans les ensembles (particulièrement vifs et périlleux) et dans les sublimes passages solistes.
Fragilité et grandeur
Quant à la distribution, c'est le rêve absolu. À commencer par la tenante du rôle-titre, la soprano franco-danoise Elsa Dreisig, dont la voix, l'allure, le caractère confèrent à l'adolescente Salomé une grâce irrésistible, mélange de fragilité et de grandeur. "Son échec doit éveiller de la pitié bien plus que de l'horreur", écrivait Strauss, Dreisig y arrive, dans la beauté, sans jamais forcer la voix, c'est la quadrature du cercle, le public lui témoigna sa reconnaissance par une immense ovation. Le baryton-basse hongrois Gabor Bretz, voix chaude et expression convaincante, campe un Jochanaan du genre activiste, bourru et séduisant, et le ténor britannique John Daszak se confirme en Hérode d'anthologie, par la voix, le jeu, la juste ambiguïté. Angela Denoke est la plus classieuse des Hérodiade, chic et cruelle, et en Narraboth amoureux, le ténor Joel Prieto est d'une présence intense (quoique courte…). Tous de haut niveau, les autres solistes sont à retrouver sur le site du festival, www.festival-aix.com.
--> Au Grand Théâtre de Provence jusqu’au 19 juillet. En direct sur France Musique le 12 juillet à 20 h.