Corinne Winters, consécration d’une étoile
La soprano triomphe dans une "Katia Kabanova" d’une bouleversante simplicité.
- Publié le 08-08-2022 à 19h15
- Mis à jour le 08-08-2022 à 19h28
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Elle sort à reculons, hésitante, s’extrayant d’une foule figée, obstinément tournée vers le fond de la scène (une cinquantaine de figurants et deux cents mannequins, mais rien ne permet de le deviner), elle court d’un bout à l’autre de l’immense scène du Manège des Rochers avec la grâce d’une danseuse contemporaine, elle semble si légère et frêle qu’on croirait qu’elle ne touche pas le sol, puis s’agenouille et reste prostrée, immobile. Avant même d’avoir chanté la première réplique de Katia Kabanova, l’héroïne de l’opéra éponyme de Leos Janacek, Corinne Winters, crève déjà l’écran virtuel de la grande salle salzbourgeoise par son magnétisme. Au final, elle reviendra plusieurs fois, tout à la fois fragile et puissante comme son personnage, saluer seule à la rampe, exécuter avec une élégance naturelle la même révérence qui voit une cheville glisser vers l’arrière pendant que l’autre se plie, poussée par ses collègues et par le metteur en scène Barrie Kosky et acclamée par la salle. Plus qu’un succès, c’est un triomphe. Et si toute la production mérite ces applaudissements nourris, c’est elle, la jeune soprano américaine, dont la légende de l’opéra retiendra les débuts ici : ce dimanche soir au Festival de Salzbourg, une étoile a été consacrée.
Confirmation
Consacrée ? C'est que l'étoile était née depuis un certain temps. Winters a derrière elle plus de dix ans de carrière internationale et pas mal de grands rôles - Violetta, Butterfly, Mélisande, Mimi, Juliette, Fiordiligi, Rusalka -, mais aussi des personnages exigeants, moins immédiatement "payants", car moins grand public, de la Iolanta de Tchaïkovski à la Jenufa de Janacek en passant par Rachel de La Juive. En Belgique, elle était apparue en Desdemona d'Otello à l'Opéra flamand en 2016 avant de revenir récemment en Giorgetta et en Suor Angelica du Trittico de Puccini à la Monnaie, même si le Covid l'empêcha d'assurer toutes les représentations prévues. Sa Katia salzbourgeoise confirme à la fois une étonnante puissance vocale qui contraste avec son petit format, et un formidable talent d'actrice qui lui permet de dire, par son seul charisme, la fragilité et la détermination de son personnage, sa sensualité et sa soif de liberté : la scène du deuxième acte où elle hésite à s'emparer de la clé qui lui permettra de s'échapper vers le jardin, la Volga et l'amour est un modèle d'intensité. Mais il y a aussi la voix, précise, homogène, capable des nuances les plus extrêmes sans jamais se révéler criarde.
Barrie Kosky signe une production simple mais bouleversante, sans autre décor que le lieu et un gril de lumières, et sans anecdote, si ce n’est le duo où une Kabanicha plus dominatrice que jamais promène en laisse l’oncle Dikoï. Une Volga abstraite, pas vraiment d’orage, juste la précision des gestes, des positions et des interactions tracées au cordeau. La foule dit tout à la fois la puissance et l’enfermement des conventions sociales, et il n’est même pas besoin de costumes élaborés - tout se passe en tenues d’aujourd’hui - pour que chaque chanteur/acteur dise la vérité de son personnage : coup de chapeau particulier à la Kabanicha hallucinée d’Evelyn Herlitzius, au Boris émouvant de David Butt Philip ou au Tichon pathétique de Jaroslav Brezina, sans oublier la fraîcheur du couple Vana/Varvara (Benjamin Hulett et Jarmila Balazova). Dans la fosse, le chef tchèque Jakub Hrusa excelle à faire respirer les splendeurs de la partition de Janacek, servies par un somptueux Philharmonique de Vienne.
Salzbourg, Felsenreitschule, les 11, 14, 21, 26 et 29 août ; www.salzburgerfestspiele.at