Gaume Jazz Festival, 38e, c’est parti !
Pour son retour à la normale, le festival gaumais améliore ses infrastructures d’accueil et présente un programme digne de sa réputation. En ouverture, « Music for Trees » en grande formation et « Clarity », première création de Fabrice Alleman, ne sont pas avares en sensations bienfaisantes.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/950d98d8-cc41-40f5-a639-6f0fe7b7b813.png)
- Publié le 13-08-2022 à 14h44
- Mis à jour le 15-08-2022 à 20h36
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/KUU5DX27V5CHDDLYNXZAY4ZRSA.jpg)
Un air d’harmonica, un thème bien connu, « Bluesette », et c’est quelque chose de Toots qui résonne à nouveau aux oreilles du public gaumais. En cette année où l’on commémore le centenaire du grand musicien bruxellois, chaque festival y va de son hommage. En Gaume, festival que Toots parraina en son temps, l’harmoniciste espagnol Antonio Serrano et son quartette s’acquittent honorablement de cette tâche, à part que l’art de siffler juste et bien est moins évident qu’il y paraît.
Ce concert d’ouverture, vendredi en fin d’après-midi, est donné dans le nouveau chapiteau, au milieu du parc du château de Rossignol, devenu centre culturel. C’est l’une des améliorations d’infrastructure dont bénéficie cette 38e édition. L’autre, c’est la transformation de la cour inférieure en espace de détente, coussins sur palettes, illuminations, rondins de bois : un lounge rustique. Ces nouveautés donnent en tout cas un caractère encore plus détendu à un festival dont c’était déjà la caractéristique. Il fait bon vivre au Gaume !
Allez hop, tous au violon !
Ce n’est pas souvent qu’on voit une quinzaine de violons et d’altos sur la grande scène du Gaume Jazz. De n’importe quel festival de jazz, d’ailleurs. Et cela sans compter quatre violoncelles... Toutes ces cordes sont rassemblées là pour rendre hommage à Garrett List (1943-2019), musicien et pédagogue qui a imprimé sa marque sur de nombreux élèves du Conservatoire de Liège. Elles sont complétées par une section vents et une rythmique solide, composée de Manu Louis à la guitare, Johan Dupont au piano, André Klénes à la basse et Stephan Pougin, batterie et percussions.
Créé par Garrett List en solo avec ordinateur et synthétiseurs, le projet « Music for Trees » a ensuite été orchestré pour finir par être présentée ici en mêlant lutherie électronique, numérique et acoustique. Une formidable machine, capable de déployer des arrangements sophistiqués, au service d’une œuvre gigantesque et polymorphe, une œuvre à l’image de son compositeur. Et puis « Music for Trees » dans le parc arboré de Rossignol, c’est comme une mise en abyme...
Démarche contemporaine
Au sein d’une grande formation, le numérique – échantillonnage, boucles, traitement des voix – bouleverse les rapports de force, en ce sens qu’il peut rivaliser de présence avec la trentaine de musiciens. Dans l’œuvre de Garrett List, se mêlent à peu près tous les genres, jazz, classique, contemporain, improvisation, comédie musicale. Chez lui, c’est la démarche même qui est contemporaine – l’essence même de son enseignement, un au-delà des genres, un levé général des barrières.
Ainsi, « Le pommier, New-York, 23 heures » nous emmène à Broadway, alors que « L’eucalyptus, Australie, 20 heures » libère un piano – celui, fantastique, de Johan Dupont – romantique et lyrique à souhait. Devenant concertante, la pièce s’emballe comme la musique d’un film à la manière de Claude Lelouch, tiens, quelque chose comme celle d’ « Itinéraire d’un enfant gâté » (1988), un carrousel qui emporte les cœurs et les âmes dans son mouvement.
Au coin du chapiteau, le majestueux hêtre séculaire du parc du château de Rossignol semble attendre son heure. Avec « Le Saule, Belgique, 21heures », on se rapproche, dans un étrange dialogue entres sons numériques et cuivres éclatés, tandis que les cordes se lamentent avant l’intrusion de percussions. Vient ensuite la touche orientale avec « Le cèdre du Liban, Beyrouth », qu’importe l’heure, un Orient musical dans lequel s’immisce le jazz, avant le grand dérapage et une guitare rappelant l’univers fantasque de Frank Zappa.
Au pied du grand hêtre
Non, le vénérable hêtre gaumais n’aura pas eu son heure de gloire, mais il est toujours là, une heure plus tard, pour la prestation de Fabrice Alleman dans la première de ses trois créations cette année à Rossignol « Clarity » (voir LLB du 12 août). « Clarity », c’est l’amour des choses simples, qui ne le sont souvent qu’en apparence : une ligne claire mélodique est souvent un trait de génie.
Pour cette première carte blanche, un trio piano (Nicola Andrioli), contrebasse (Jean-Louis Rassinfosse) et saxophone (Fabrice Alleman) se mue rapidement en quartette avec l’arrivée du guitariste Philip Catherine. Aleman se concentre sur le saxophone soprano, un instrument dont il n’est pas facile, justement, de tirer un son clair. Le musicien lui donne une douceur bienvenue dans ce monde brutal.

Prendre les choses comme elles viennent
Quel bonheur de retrouver le son magnifique et ample, la justesse de Jean-Louis Rassinfosse ! Inspiré par l’univers du trompettiste Chet Baker, Fabrice Alleman a réalisé des compositions nimbées de petite philosophie (« Just Take it as it is », « Spirit »), parfois d’une extrême délicatesse, avec souvent un air de chanson familière, de ritournelle. Fin compositeur très inspiré par ses petits-enfants, Philip Catherine livre un magnifique « Clément », une mélodie pleine de tendresse.
Ces quatre musiciens se connaissent et s’apprécient, il y a donc entre eux tout un jeu d’affinités comme en témoignent les quelques accords de Philip pendant le chorus de Nicola sur le thème d’« Assise ». Philip Catherine toujours aussi habité par la musique, héraut de la note bleue. Fabrice Alleman a conçu ce premier projet en soulignant l’aspect esthétique de la musique, une musique en soi, pour elle-même peut-être, mais qui a une indéniable dimension salvatrice, consolatrice… Bref, qui fait du bien.
Le Gaume Jazz Festival se poursuit le samedi 13 et le dimanche 14 août, au centre culturel de Rossignol-Tintigny.