Passage réussi pour la comète Béatitudes
Madaras tient la tension et l’attention dans le grand oratorio de César Franck.
Publié le 12-12-2022 à 09h21
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S’il est à la portée du premier quidam venu d’obtenir que le public d’un restaurant plongé dans l’obscurité lui chante Joyeux anniversaire tandis qu’un garçon empressé amène un tiramisu orné d’une bougie crépitante sur fond de karaoké beuglant, qui peut se vanter d’avoir des centaines de personnes qui reprennent en chœur le même souhait accompagnés live par un orchestre philharmonique de 76 musiciens, 67 choristes, 8 solistes du chant, de grandes orgues et un chef d’orchestre en smoking pour diriger le tout ? Il faut s’appeler César Franck, avoir atteint – sur papier – l’âge canonique de 200 ans, et avoir réuni l’effectif précité pour une exécution d’un magnum opus de plus de deux heures. Et, bien sûr, cela ne peut se passer qu’à Liège.
Au même titre que la Symphonie des Mille de Mahler ou la Turangalîla Symphonie de Messiaen, Les Béatitudes (La Libre du 7 décembre) sont de ces pièces mythiques qu’on ne monte que toutes les deux ou trois décennies. Et dont on se dit, une fois dégustées, qu’elles sont assurément goûteuses mais pas totalement digestes, et qu’on attendra quelques années avant d’en remanger. Moins prosaïquement, on pourrait les comparer à une comète qui ne passe près de la Terre que très occasionnellement et qu’il ne faut donc pas manquer. Ce fut le cas samedi en la Salle Philharmonique.
Partition brillante
Indigeste ? Le livret signé d’une certaine Madame Colomb porte la marque de son temps (l’œuvre fut achevée en 1879) et n’est pas d’un niveau poétique extrême. Mais la partition est brillante et, si l’effectif donne inévitablement parfois un sentiment de saturation (oserait-on parler d’étouffe-chrétien ?), Franck diversifie habilement ses effectifs malgré l’uniformité apparente de la forme (une introduction suivie de huit béatitudes). Le quintette des voix célestes Pauvres humains qu’enflamme le désir du bonheur dans la deuxième béatitude, ou l’irruption de l’Ange du Pardon dans la cinquième (Abjurez la haine !) sont ainsi des moments particulièrement forts.
Coup de chapeau aux interprètes qui, justement, ont su éviter les écueils du pompiérisme et de l’emphase. Le chef Gergely Madaras qui porte la soirée à bout de bras et réussit à ne jamais laisser retomber la tension, mais aussi ses musiciens (l’OPRL en grande forme et d’une belle cohésion) et choristes (le Chœur National Hongrois, à la diction française presque impeccable) ensuite. Mais aussi les solistes, qu’ils soient venus de l’opéra en insufflant ici la théâtralité de la scène (une brûlante Anne-Catherine Gillet, mais aussi la mezzo-soprano Héloïse Mas, remplaçante brillante de dernière minute, la superbe contralto Eve-Maud Hubeaux ou Patrick Bolleire, qui prête sa belle voix de basse – et sa chemise rouge – à Satan) ou qu’ils soient dans des rôles plus religieux (formidable Christ de David Bizic, diction splendide et expressivité constante, et très beau récitant – un quasi-évangéliste – d’Artavazd Sargsyan).
À juste titre, Madaras a pris le temps à la fin des applaudissements de s’adresser à la salle pour remercier toute l’équipe de l’OPRL qui, dans l’ombre, a permis l’année de commémorations franckistes qui s’est achevée ainsi. En attendant la prochaine exécution des Béatitudes en concert dans 20 ou 30 ans, on retrouvera avec plaisir l’enregistrement discographique de cette soirée annoncé en 2023 chez Fuga Libera. Et avant cela, il y aura aussi le coffret Hulda !