Le versant sacré de Rachmaninov
Brillante et intense exécution des Vêpres du compositeur russe par le Chœur de la Radio lettone.
Publié le 06-02-2023 à 10h55
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Organisé de jeudi à dimanche, le Festival Rachmaninov de Bozar et de l’ONB a été un succès. Si les deux concerts proposant l’intégrale des concertos pour piano se sont donnés à guichets fermés, la salle Henry le Bœuf n’était pas remplie pour celui qui était consacré aux Vêpres opus 37. De quoi confirmer le titre d’une des conférences également programmée: Pourquoi connaissons-nous Rachmaninov principalement comme compositeur des concertos pour piano?
Le constat est inévitable: la musique a cappella, a fortiori de caractère sacré et en langue russe, est forcément plus austère et moins immédiatement accessible qu’une soirée de dialogues de haut vol entre un orchestre symphonique fourni et un pianiste virtuose. Une musique moins immédiate, plus exigeante mais non moins intense: on aurait tort de négliger le versant sacré de Rachmaninov qui, outre les Vêpres qu’interprétait samedi le Chœur de la Radio Lettone, comprend également sa Liturgie de Saint-Jean Chrysostome.
Plus que des Vêpres
Créées par le Chœur du Synode de Moscou le 10 mars 1915, ces Vêpres sont en fait plus que des Vêpres: plus adéquatement dénommées Vigiles ou Vigiles nocturnes, elles reprennent en réalité des parties propres aux Vêpres (données le soir) et d’autres ressortissant plutôt des Mâtines.
C’est tout le spectre de la nuit qui est couvert, d’où le titre anglo-saxon de All Night Vigil. Quinze pièces de 2 à 9 minutes, écrites tour à tour en chant znamenny, en style grec ou en mode kiévien, qui disent avec une pureté troublante l’intensité de la foi: en mettant notamment en évidence les sonorités les plus profondes (les basses doivent descendre au contre si bémol grave), mais aussi en démontrant chez Rachmaninov un sens de l’orchestration vocale qui n’a rien à envier à son talent d’orchestrateur instrumental.
Les Vêpres de Rachmaninov illustrent aussi la fin d’une époque. Deux ans après la création de l’œuvre, la révolution bolchévique allait mettre fin à la Russie tsariste. Le compositeur allait définitivement quitter sa patrie pour s’installer aux États-Unis. Les représentations de musique sacrée étant désormais interdites, les Vêpres ne seraient plus données en Russie avant longtemps; réalisé à Moscou après la seconde guerre mondiale, le premier enregistrement discographique de l’œuvre allait être vendu seulement à l’international, restant inconnu en URSS.
Une merveille d'équilibre
Placés en arc de cercle, sopranos et altos devant, basses et ténors derrière, les 24 chanteurs du Chœur de la Radio lettone ont, avec leur chef Sigvards Klava, une longue pratique de l’œuvre: leur interprétation est une merveille d’équilibre, empreinte d’intensité mais sans jamais tomber dans l’emphase ou la grandiloquence.
En lever de rideau, l’ensemble révèle à la salle deux œuvres récentes (2006) de compositeurs lettons, car telle est aussi sa mission: Une goutte dans l’océan de Erik Esenvalds (né en 1977), et Les noms de nos mères du grand Peteris Vasks (né en 1946). Et en rappel, ce sera la très simple mais très émouvante Prière pour l’Ukraine du légendaire compositeur ukrainien Valentin Silvestrov. Pas besoin d’expliquer ce choix…