La renaissance de Prince Waly
Fin septembre 2022, le rappeur Prince Waly a sorti son premier album, "Moussa". Un disque brillant, qui parle d'une renaissance humaine et artistique. Rencontre.
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Publié le 07-02-2023 à 10h45
Prince Waly était en Belgique début décembre pour un concert dans la petite salle du Café Central à Bruxelles. Long manteau gris sur les épaules, l'homme a le sens du style et le sourire facile quand il débarque dans notre studio.
Originaire de Montreuil, aux portes de Paris, le Français a baigné dans le rap depuis son enfance. Doc Gyneco, le Secteur Ä, Lunatic et surtout le groupe X-Men ont façonné sa technique et son écriture. "C'est mon binôme, Fiasco Proximo, avec qui j'avais créé le groupe Big Budha Cheez, qui m'a filé le premier album des X-Men, Jeunes, coupables et libres. C'est vraiment à cette période que j'ai décidé que j'allais faire du rap." S'identifier, être comme eux, vivre les mêmes histoires, Waly le rappeur s'est construit en imitant ses aînés, avant de trouver sa propre voix. Open Mics, concerts sauvages, l'objectif était de prendre le micro et de créer des réactions. "C'est la meilleure des sensations", se souvient-il.
Prince Waly n'imaginait pas se lancer aussi vite en solo. Mais quatre ans après ses débuts avec Big Budha Cheez, il rencontre le producteur Myth Syzer qui le pousse à sortir de sa zone de confort. "Je pense que je lui dois énormément, avoue-t-il. Il a su déceler en moi ce que moi-même je n'arrivais pas à voir." Le rappeur prend son envol et sort son premier EP Junior en 2016, puis BO Y Z en 2019. Deux mois après la sortie de ce dernier EP, il apprend qu'il est atteint d'un cancer et met sa carrière entre parenthèses le temps de se soigner. Il reprend difficilement la musique alors qu'il est en rémission. "Je n'avais plus le jus", confessera-t-il dans l'émission Le Code. Il lui faudra du temps pour réapprendre à écrire, se sentir challenger. Moussa est le fruit des réflexions d'un homme forcé par le destin à faire son examen de conscience avant de songer à l'avenir et à l'individu qu'il veut devenir.
Vous dites qu'après BO Y Z que vous n'aimiez pas ce que vous commenciez à devenir. L'industrie de la musique peut-elle parfois changer les artistes ?
Oui, totalement. Je l'ai vu de mes propres yeux. Ça a failli me changer moi-même. Après mon EP BO Y Z, j'ai commencé à faire des chansons, j'étais entré dans cette dynamique où pour exister, il faut sortir des morceaux tout le temps. Avec du recul, je me dis que ce n'était pas la bonne façon de penser. Le but, c'est de produire de la bonne musique et d'être sincère avec soi-même et avec ses auditeurs. Il faut être capable de donner le meilleur à chaque fois. Et au final, l'industrie impose, ou même les artistes tout seuls s'imposent une forme de régularité, une espèce de boulimie de musique. Les auditeurs sont pourtant prêts à attendre tant qu'on leur donne de la qualité. Je le vois très bien avec mon album. Cela faisait trois ans que j'avais disparu des radars et ceux qui m'ont découvert avec Big Budha Cheez ou avec Junior ou BO Y Z sont encore là aujourd'hui. Et ça n'a fait que grossir.
Mais ça dépend peut-être de la proposition artistique. Il y a des artistes qui proposent une musique plus éphémère, plus instantanée...
C'est vrai. Il n'y a pas vraiment de recette car chacun est comme il est. Je vois ça comme un marathon. Mes plus grandes inspirations, ce sont des mecs qui ont fait des carrières incroyables. Je pense à Michael Jackson, ou à Booba qui est encore là aujourd'hui, avec plus de 20 ans de carrière derrière lui. C'est juste magnifique. J'aspire à ce genre de carrière. Je suis plus dans la construction. Chaque projet est comme une pierre à l'édifice. À la fin, il faut que la pyramide soit belle. Chaque move doit être millimétré et il faut surtout que ça me plaise, qu'il n'y ait aucune concession.
Dans l'intro de l'album, on entend Arthur Teboul de Feu! Chatterton déclare : "Le prince est toujours là". On a l'impression que cette phrase est dite avec le sourire, comme une revanche sur la vie...
C'est incroyable. J'ai lu sur Twitter quelqu'un qui parlait des lives. Les gens ressentent ce sourire et quand ils me voient sourire sur scène, ils disent que c'est un moment à vivre et à partager. Je ne le contrôle pas, j'ai pris ça de mon père qui sourit aussi tout le temps. Je me répète souvent que la vie est belle. On arrive toujours à trouver du bon, même dans le mauvais.
Pour beaucoup d'artistes, la musique est un moyen de dire l'indicible, ce qu'ils ne pourraient pas dire à leurs proches par exemple. Est-ce aussi votre cas ?
Je pense que ça m'a beaucoup désinhibé. Adolescent, j'étais très timide, c'était maladif. Aller acheter une baguette, c'était une épreuve. Le fait de faire de la musique et de voir que j'étais bon pour ça, que les gens m'appréciaient, ça a été une façon de casser un peu tout ça. Je suis issu d'une famille africaine. Il y a une hiérarchie où en tant qu'enfant, on n'a pas le même poids face à un adulte. J'ai réussi à casser ça, au sein de ma famille. Aujourd'hui, je peux parler à mon père d'égal à égal. Mon père a toujours vu en moi un orateur. Il m'a toujours dit : "Tu as le don de rassembler les gens". C'est vrai que dans les réunions de famille, j'ai toujours pris la parole comme si j'étais l'aîné de la famille, alors que je fais partie des plus petits.
Il y a un côté très pur dans les sentiments, dans l'empreinte que vous voulez laisser avec ce disque...
C'est comme un prêche. C'est la thématique de l'album. Je n'avais pas forcément l'habitude de me raconter sur les anciens projets. C'était beaucoup de storytelling, d'histoires à la troisième personne. Et comme là, l'album s'appelle "Moussa" (ndlr : prénom de Prince Waly), il n'y a pas de mensonges.
C'est seulement dans la dernière chanson, "Mercy", que vous évoquez votre cancer, que vous mettez un mot dessus. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
À la base, ça devait être l'intro. J'étais au studio avec JayJay (ndlr : beatmaker français) et je lui ai fait écouter les morceaux. À l'écoute de "Mercy", il m'a dit : "Le son est trop fort mais j'ai peur que ça fausse mon écoute du reste de l'album". Je suis rentré à la maison et je me suis rendu compte que je n'avais pas envie que les gens m'écoutent par pitié. J'ai décidé de le mettre en dernier et d'envoyer du lourd pour prouver que j'étais capable de rapper. Je voulais montrer aussi ce que j'avais acquis au fur et à mesure du temps, que je savais un petit peu plus chantonner, faire des mélodies. Tous les rappeurs ne savent pas faire des chansons. On peut être très bon en freestyle, on peut être très bon en textes, mais faire une chanson, c'est vraiment quelque chose de différent. Faire un beau refrain, amener des belles structures, c'est vraiment un art à part entière. Et ça, c'est sur la deuxième partie de l'album qu'on le découvre. Et puis, il fallait que j'explique aux gens pourquoi j'avais disparu. À un moment, je ne voulais pas en parler. C'est quelque chose qui m'appartenait et je n'avais pas forcément envie de le partager. Ce sont mes proches qui m'ont dit : "Prince Waly, certes, c'est toi, mais ça ne t'appartient plus vraiment. Il y a plein de gens derrière toi, une équipe. Les gens, c'est une sorte de moteur, tu leur dois bien ça. Il faut que tu leur montres que ça valait le coup d'attendre".
Vous parlez aussi beaucoup de votre foi. Vous a-t-elle porté pendant la maladie ?
Énormément. Depuis petit, j'ai toujours été proche de Dieu. Je suis issu d'une famille musulmane. Malheureusement, c'est quand on est face à de grosses épreuves qu'on se rapproche le plus de notre foi. J'ai quand même passé trois ans presque seul. Quand je dis 'seul', j'étais entouré, j'avais ma famille, ma femme, mais c'est un combat contre soi-même. J'ai pu réfléchir, me remettre en question et me rapprocher encore plus de Dieu. Et ça m'a beaucoup aidé.
Vous pensiez à la mort avant ?
J'ai toujours eu un rapport particulier avec la mort, parce que ce n'est pas la première fois que j'y suis confronté. J'ai toujours été dans l'acceptation. Mais dans la maladie, je n'ai jamais douté. Je ne me suis jamais dit que j'allais y passer. C'est bizarre de dire ça et je n'ai pas envie de paraître ingrat, mais quand mon médecin -qui était quand même pessimiste- m'a dit qu'il ne pouvait pas se prononcer sur ma guérison mais qu'il y avait un traitement, c'était comme si j'avais une grippe. Le fait d'avoir minimisé un petit peu la chose, je pense que j'ai envoyé les bons signaux à mon corps et l'esprit a pris le dessus.
À la fin du disque, on vous entend dire : "Si tu as des rêves, réalise-les". C'est le message que vous voulez faire passer avec "Moussa" ?
Si on doit s'arrêter sur une phrase, ce serait celle-ci ou même celle qui suit : "Si tu as des projets, accomplis-les". Quand on est jeune, certes, on n'est pas invincible, mais on peut faire de grandes choses. Je pense que les jeunes vont nous sauver. Et j'ai envie de les pousser, de leur dire de faire ce qu'ils veulent, car tout est possible.
Moussa *** Prince Waly. Rap, sortie le 30 septembre 2022.