”Hamlet”, le drame discret de la bourgeoisie
Une version moderne et intense du rare opéra d’Ambroise Thomas librement adapté de Shakespeare.
Publié le 27-02-2023 à 16h48
:focal(3911.5x2617.5:3921.5x2607.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/YJBVFKHFANAVBLBCG4VP33WSCM.jpg)
L’ORW continue de conjurer la malédiction du Covid en redonnant leur chance aux spectacles annulés en dernière minute pour cause de confinement. Après La Sonnambula de Jaco Van Dormael, voici un autre ouvrage qui, dans un genre tout différent il faut le dire, intègre également la vidéo dans l’opéra : le Hamlet initialement monté à l’Opéra-Comique à Paris en 2018 sous la baguette de Louis Langrée (DVD disponible chez Naxos), et proposé ici avec une affiche musicale entièrement renouvelée.
Venu du théâtre parlé, Cyril Teste signait alors un joli coup d’essai pour sa première mise en scène d’opéra, mélangeant avec talent le langage musical de l’opéra d’Ambroise Thomas, les références théâtrales (au deuxième acte, Hamlet monte la pièce Le Meurtre de Gonzague pour confondre Claudius, l’assassin de son père) et même le cinéma : chaque acte est annoncé ici comme dans un vieux film muet, et des images filmées en temps réel viennent contextualiser certains moments (captées en coulisses) ou souligner certains détails (tournées sur scène). L’action proprement dite se déroule sur un plateau presque nu, avec juste un portail blanc constitué de trois éléments et, se déplaçant sur des rails, un écran mobile qui divise l’espace ou fait apparaître l’image animée d’absents dont on parle.
Un cocktail mondain
Si le livret écrit par Barbier et Carré en 1868 prenait déjà ses distances avec la pièce de Shakespeare et développait l’intrigue amoureuse au détriment de la dimension politique de l’œuvre, la mise en scène de Teste emmène le spectateur vers les univers bourgeois chers à Chabrol. La Cour d’Elseneur est un vaste cocktail mondain où Hamlet peine à se libérer de l’emprise paternelle (le spectre est omniprésent et revendicateur), mais aussi d’une relation manifestement œdipienne avec sa mère (leur duo du troisième acte est un des moments forts de la soirée). Mais, avec sa barbiche finement taillée et ses cheveux impeccablement peignés, cet Hamlet n’est un rebelle que dans la mesure où il ne met pas sa chemise dans son pantalon et porte des sneakers plutôt que des souliers vernis ; et Ophélie, elle, reste une petite bourgeoise qui, jusque dans sa scène de folie, portera robe de cocktail et hauts talons sans comprendre que son statut de fille d’un complice du régicide, dont elle ignore même l’existence, aura suffi à lui valoir d’être répudiée par son Prince bien-aimé.
À la direction de l’Orchestre de l’ORW, Guillaume Tourniaire excelle à mettre en lumière la richesse d’une partition qui, notamment, utilise splendidement tous les registres et toutes les couleurs des vents, avec des audaces comme les débuts en fosse d’opéra du saxophone (ici, il est même intégré sur scène), l’union de la clarinette et d’un quatuor de violoncelle à l’acte IV ou le solo de trombone. Coup de chapeau rétrospectif aussi à Stefano Mazzonis, défunt directeur de la maison liégeoise, qui avait monté cette production en réunissant une distribution entièrement francophone (l’Opéra de Paris, qui en monte une nouvelle production dans un mois, n’y est pas arrivé), et qui plus est majoritairement belge, laquelle a d’ailleurs été reprise clé sur porte par son successeur Stefano Pace.
Distribution entièrement francophone
Belle prise de rôle pour un Lionel Lhote qui fait à nouveau forte impression en Hamlet : le baryton borain prend un peu de temps avant d’investir complètement la dimension théâtrale du personnage, mais la voix est très sûre et bien projetée, les phrasés élégants et la prononciation du texte d’une clarté parfaite. Débutant elle aussi en Ophélie, Jodie Devos maîtrise souverainement la fameuse scène de la folie de l’acte IV : la voix n’est pas immense, mais la technique est sans faille et l’intonation parfaite. Seuls non Belges du plateau, Béatrice Uria-Monzon (Gertrude, la mère d’Hamlet) et Nicolas Testé, bien que légèrement souffrant (Claudius l’usurpateur) sont remarquables, tout comme Pierre Derhet, magnifique Laërte. On retrouve également avec plaisir Maxime Melnik, injustement écarté de la scène liégeoise voici quelques mois (il est Marcellus et un des fossoyeurs), mais aussi Laurent Kubla, qui était un habitué de l’époque Mazzonis (il est cette fois Horatio et l’autre fossoyeur), tous deux constituant un duo attachant. Shadi Torbey (le Spectre) et Patrick Delcour (Polonius) complètent la distribution.
Liège, Théâtre Royal, jusqu’au 7 mars ; www.operaliege.be