“Bastarda” : Donizetti entre bouleversement et classicisme
Le premier épisode du biopic de la Monnaie prouve la pertinence de la démarche de déconstruction/reconstruction.
Publié le 22-03-2023 à 18h16 - Mis à jour le 31-03-2023 à 17h24
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“Un projet ambitieux, mais pas arrogant”. Présentant une fois encore le projet Bastarda, Peter De Caluwe s’excusait presque de l’audace de cette démarche originale consistant à faire éclater puis reconstituer, selon une ligne narrative chronologique, des extraits des quatre opéras de Donizetti évoquant la vie et le règne d’Elizabeth Ire. Après la première soirée – achevée sur le brillant sextuor qui conclut le premier acte de Maria Stuarda, où la Reine d’Écosse traite la Reine d’Angleterre de "vile bâtarde" – on peut déjà conclure à la réussite du pari et à la pertinence de la démarche.
Certes, Bastarda n’est pas un opéra à proprement parler, les textes parlés prennent une place importante (surtout au début, où il faut presque une demi-heure pour camper le décor et raconter les vingt premières années de vie de la souveraine avant de lancer véritablement la musique), mais Donizetti n’est ni trahi ni même instrumentalisé. L’intégration de la déclamation anglaise dans le chant italien se passe aussi bien que, par exemple, celle des dialogues de La flûte enchantée dans la partition de Mozart, et l’idée de transformer trois personnages secondaires (Smeton, Cecil et Nottingham) en vertus faites hommes à la façon des prologues d’opéra baroque fonctionne bien. Et, surtout, la Monnaie a trouvé en Nehir Hasret, 12 ans seulement, une comédienne d’un talent insensé qui, dans le, rôle parlé d’Elisabeth enfant, brûle les planches et vole presque la vedette à l’Elizabeth chantée avec laquelle elle interagit.
On reviendra, dans un prochain article, sur les chanteurs et la dimension musicale des deux spectacles, mais la première soirée permet déjà de dresser un bilan visuel et théâtral. Comme attendu, les costumes sont d’une grande beauté. Mais ce n’est pas diminuer le talent de la conceptrice (Petra Reinhardt) ni des Ateliers de la Monnaie qui les ont réalisés que d’observer que le tout reste de style et de facture assez classique : exceptionnels, ces costumes le sont moins par rapport à ce qu’on voit dans d’autres maisons lyriques européennes plus ancrées dans la tradition qu’à la mesure des esthétiques actualisantes et banalisantes qui ont souvent dominé à la Monnaie ces dernières années. Urs Schönebaum signe des lumières raffinées qui contribuent à la magie de la soirée (les fonds de scène notamment), les décors étant limités pour le reste à de grands parallélépipèdes mobiles qui découpent subtilement l’espace scénique et servent en même temps de supports à des projections vidéo.
Et si les chorégraphies décalées d’Avshalom Pollak, exécutées par douze danseurs semblant sortis d’un film de Tim Burton, apportent une jolie touche d’humour et d’onirisme, la mise en scène d’Olivier Fredj opte elle aussi pour un classicisme de bon aloi : soucieux de fluidité et de lisibilité, fort d’une direction d’acteurs discrète mais efficace, le Français excelle à raconter le destin de la Reine, ayant très bien compris qu’il n’était pas nécessaire de transposer l’action à l’époque d’aujourd’hui pour nous la rendre actuelle.
La Monnaie, jusqu’au 15 avril.