La chair est triste, Isolde meurt
À Gand, Tristan et Isolde guettés par l’ennui malgré une belle distribution.
Publié le 23-03-2023 à 19h32
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Les quatre longs métrages qu’il a réalisés depuis 1998 (Sombre, La vie nouvelle, Un lac et Malgré la nuit) n’ayant eu qu’une distribution assez confidentielle loin des circuits traditionnels, le nom de Philippe Grandrieux n’est connu que de quelques cinéphiles pointus. Ses débuts comme metteur en scène à l’Opéra flamand ne laissent pas penser qu’il trouvera dans le lyrique une nouvelle carrière : son Tristan et Isolde, bien que nourri d’une réflexion approfondie sur les personnages, manque singulièrement de substance dans sa réalisation, au point de laisser le sentiment d’une version de concert accompagnée de quelques projections répétitives.
Isolde l'érotomane
Le cinéaste français voit Isolde comme une érotomane rongée par le désir. Tout au long de la soirée (sauf pour la mort finale, où Isolde échappe aux projections), il diffuse donc, sur un tulle transparent tendu devant la scène, ses images en gros plan, tantôt ralenties, tantôt saccadées, d’un corps féminin nu qui se tord, se pince, se malaxe, se masturbe et ne trouve jamais la consolation de l’orgasme : un écho sans doute fidèle à une partition dont la dimension érotique a souvent été soulignée, mais qui ne suffit pas à faire vivre l’action. Parfois, quelques instants, Grandrieux montre des feuilles ou des graminées (le jardin), voire l’écume de la mer (Karéol), mais revient très vite à ce corps qui finira, un peu apaisé (Isolde est alors distante) par flotter en apesanteur à l’acte III. Mais, à la différence de Peter Sellars dans son Tristan et Isolde avec les vidéos de Bill Viola récemment repris encore à l’Opéra de Paris, le Français semble surtout motivé par sa démarche de vidéaste esthétisant, et néglige la direction d’acteurs des êtres de chair et d’os qui sont en scène. Les chanteurs ne sont même pas vraiment éclairés, sinon par les zones claires du film projeté, et des moments clés comme le récit de Marke ou l’agonie de Tristan sont traités sans réel développement physique.
La direction d’Alejo Perez ne permet pas d’échapper à l’ennui. Le travail du directeur musical de l’OperaBallet Vlaanderen est assurément soigné, avec un souci de respiration et de transparence des timbres (ce qui n’empêche pas quelques désordres çà et là) : mais ses tempi sont d’une telle lenteur qu’on frise plus d’une fois le délitement, et que les préludes d’acte échouent à suggérer la passion (l’acte I) ou la douleur (le III). Reste heureusement une très belle distribution dominée par l’Isolde éminemment sensuelle de Carla Filipcic Holm, voix ample et charnue un peu tendue parfois au premier acte mais qui s’arrondit ensuite. Dignes d’éloges également, Samuel Sakker (Tristan lyrique et expressif), Albert Dohmen (Marke élégant), Dshamilja Kaiser et Vincenzo Negri (impeccables Brangäne et Kurwenal) ou le très prometteur Hugo Kampschreur (le jeune marin et le berger). Belle idée aussi que d’avoir construit spécialement pour l’arrivée d’Isolde au troisième acte la trompette spéciale dont rêvait Wagner, jouée ici depuis le paradis – fût-ce avec un peu d’émotion à la première.
Gand, Opera, jusqu’au 2 avril ; Anvers, Opera, du 9 au 23 avril, www.operaballet.be