Herreweghe en terres verdiennes
Philippe Herreweghe donne le "Requiem" de Verdi à Bozar, une œuvre qu’il considère comme l’une des plus importantes du répertoire.
Publié le 28-04-2023 à 14h26
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Œuvre de la maturité, la Messa da Requiem de Giuseppe Verdi, crée en 1874, s’inscrit dans son catalogue entre Aïda et Otello. On y entend les prémices de la tempête du drame vénitien de Shakespeare et Verdi y reprend l’une des plus belles pages de son Don Carlos (la lamentation sur la mort du Marquis de Posa devient ici le Lacrymosa). Souvent décrit comme une œuvre trop gigantesque pour être authentiquement religieuse, le Requiem – sorte de colosse intrépide de la musique chorale – n’est plus guère représenté dans le cadre de la liturgie (l’a-t-elle jamais été ?) mais dans les salles de concert, où ses élans opératiques semblent parfois jouer à cache-cache avec l’auditeur.
Spécialiste de la spécialité
“Je croise des gens qui semblent surpris que je dirige Verdi, moi qui suis spécialiste de Bach.” Cette confidence d’Herreweghe résume la complexité de l’entreprise : les salles de concerts sont comme des hôpitaux, où la médecine générale abdique au profit des spécialistes. Là, un chef d’orchestre est attendu au tournant, quand il quitte les rivages de son répertoire. Il en faut plus, naturellement, pour effrayer Herreweghe qui n’a jamais tremblé face au dépaysement.
“Surtout, explique Herreweghe, il est difficile de retrouver aujourd’hui les conditions de la création de l’œuvre” : Verdi, à Milan, avait bénéficié d’un mois de répétitions avec un effectif de cent cinquante musiciens. Herreweghe et sa troupe disposent de trois jours de répétitions. “Je connais mal les opéras de Verdi, mais son Requiem m’apparaît comme un chef-d’œuvre incontournable. Même Brahms l’admirait. ”
Le poids des mots
Dans un effectif des grands soirs, le Collegium Vocale de Gand s’attache à la primauté du mot, soulignant dans le texte latin de la messe le sens du verbe. “Trop souvent, dans les versions historiques, les chefs privilégient le dramatisme à la force du mot, j’ai envie que mes chanteurs mesurent la dimension de ce qu’ils chantent”. L’Orchestre Symphonique d’Anvers, augmenté de trompettes naturelles, rend pleinement justice à la complexité dynamique de la pièce, soulignant le vertige qui souvent sépare un triple piano d’un forte dans un Requiem qui hésite constamment entre colère et recueillement.
Herreweghe, lui, avance d’un pas sénatorial dans une œuvre dont il entend avant tout souligner les “sublimes harmonies”. Une lecture radicale chic, de rondeur, de velours, de murmures, où l’extrême violence de la partition peine parfois à trouver sa juste place. Le quatuor de solistes dominé par l’iconique soprano Eleanor Lyons, s’entend comme un tout, d’une grande cohérence, mais où les individualités sont un peu abolies. L’histoire de la musique a longtemps (à tort ?) considéré ce Requiem comme un opéra qui ne s’assume pas. Herreweghe, lui, ne l’entend clairement pas de cette oreille.