Metallica, un nouvel album sans compromis : "On fait ce qu’on veut et surtout on ne fait pas ce qu’on ne veut pas"
Le groupe de metal californien aux 110 millions de disques vendus publie "72 Seasons" un nouvel album sans compromis inspiré des traumatismes de l’enfance. Explications avec son guitariste Kirk Hammett. Metallica sera au Stade de France les 17 et 19 mai.
Publié le 29-04-2023 à 18h09
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Quarante-deux ans après ses débuts, Metallica domine toujours de manière insolente la scène metal internationale. Créé par le chanteur/guitariste californien James Hetfield et le batteur d'origine suédoise Lars Ulrich, le groupe semble invincible. Il a tout surmonté. La mort de son premier bassiste Cliff Burton dans un accident de tour bus, les addictions drogue/alcool de ses membres et les cures de désintoxication qui vont avec, les crises d'ego, les modes (le grunge qui a relégué quelques années Metallica au rang de has-been), le succès mainstream (la ballade MTV "Nothing Else Matters"), les accidents industriels (l'affreux St. Anger en 2003), la routine, l'âge…
Avec plus de 110 millions d'albums vendus au compteur et une nouvelle tournée des stades, la No Repeat Weekend, qui est quasi sold-out malgré des prix prohibitifs, la machine Metallica n'a plus rien à prouver. Mais le groupe à la moyenne d'âge de 59 ans a sa fierté. Onzième album (douzième si on inclut Garage Inc, disque de reprises paru en 1998), 72 Seasons impose un trash metal implacable. Quelque part entre tradition et modernité. Sans ballade, sans compromis. Douze morceaux d'humeur particulièrement sombre qui claquent. Septante-sept minutes à plein régime répondant aux structures du genre avec longue intro instrumentale, attaque vocale, solo et salve finale. Le titre "72 Seasons" renvoie aux dix-huit premières années de notre existence qui façonnent notre personnalité. L'occasion pour le parolier James Hetfield de revenir sur les traumatismes de son enfance et d'exorciser ses démons intérieurs. L'opportunité aussi pour Kirk Hammett, le guitariste d'origine philippino-irlandaise qui a rejoint Metallica en 1983, de multiplier les solos et de sublimer par son enthousiasme intact l'intérêt pour ce groupe mastodonte. Tout en se désolant que cette nouvelle tournée ne passe pas par chez nous (il reste encore quelques places au Stade de France les 17 et 19 mai), Kirk fait preuve d'une rare amabilité durant la grosse vingtaine de minutes de conversation téléphonique avec le "belgian journalist".
Voici quarante ans, presque jour pour jour, vous étiez invité à rejoindre Metallica. Quelles ont été vos premières impressions ?
C'est en 1982 que je vois pour la première fois Metallica en concert. Avec mon groupe Exodus, nous partageons la même affiche au Old Walford, un club de San Francisco. Coincé à l'arrière de la scène, je me dis : "Ils ont une drôle de dégaine, mais ces mecs jouent mieux que nous" . Le lendemain, on se retrouve et on parle pour la première fois ensemble. Dans le quartier où je vis alors, je traîne pour la plupart du temps avec des Asiatiques et des Afro-Américains. James Hetfield et Lars Ulrich, eux, me font découvrir la scène rock et le milieu interlope de la nuit. C'est un monde nouveau qui s'ouvre à moi. En avril 1983, le groupe m'appelle alors qu'il se trouve à New York pour enregistrer son premier album Kill'Em All . Metallica vient de virer son guitariste Dave Mustaine parce qu'il picole trop et me propose de passer une audition. Je prends le premier vol pour New York et je me retrouve à jouer "Seek&Destroy" qui deviendra un classique de Metallica. James et Lars n'ont pas arrêté de rigoler quand je grattais ma guitare et je pensais que c'était cuit pour moi. Mais non, je décroche le job et deux semaines plus tard je donnais mon premier concert avec Metallica au Showplace, un club du New Jersey.
"Kill’Em All", le premier album de Metallica définit ce qu’est le trash metal. À sa sortie en 1983, il a mis du temps à trouver son public. Avez-vous pensé que ça pourrait déjà être fini pour vous ?
Non, ça ne nous a jamais traversé l'esprit. D'abord parce que nous n'avions pas d'attente particulière. Ensuite, on ne connaissait rien du business. Il n'y avait pas de plan marketing, pas de stratégie ou de promo. On savait qu'il nous fallait un album pour tourner et, nous, c'est ce que nous voulions. Kill'Em All s'est imposé grâce aux concerts. Metallica a joué partout en Californie et puis nous avons fait notre première tournée américaine en tête d'affiche dans les clubs. Pour nous, c'était déjà inespéré. Et quand on nous a proposé de prendre l'avion pour venir chez vous en Europe (Metallica jouera à trois reprises en Belgique en 1984, NdlR), on s'est dit : "Wouah" . Plus que le succès, c'est un véritable choc mental que j'ai ressenti au plus profond de moi-même. J'avais 21 ans ; je n'avais jamais quitté San Fransisco ; j'étais heureux et j'avais faim. Faim de nouveaux morceaux, de nouveaux concerts et de nouvelles aventures.
À la sortie de votre nouvel album "72 Reasons", beaucoup ont parlé d'un retour aux sources. C'est comme ça que vous le voyez ?
Non, ce n'est pas un retour aux sources. Si ça l'était, j'aurais joué des riffs de heavy metal peu inventifs comme je le faisais à mes débuts dans Exodus. Pour 72 Seasons , l'intention était de mettre en commun toutes nos forces et nos inspirations pour faire un grand disque moderne. Et il se trouve que nous avions amassé chacun des tonnes d'idées. D'abord, parce que Metallica n'avait plus sorti de disque depuis Hardwired… to Self-Destruct (2016). Ensuite, parce que le Covid nous a bloqués chacun à la maison où nous possédons heureusement tous un home studio. Il y avait aussi la frustration de ne pas pouvoir jouer ensemble. Bref, quand on s'est retrouvé pour enregistrer 72 Seasons , j'ai été agréablement surpris du nombre de morceaux solides qu'on avait. Si l'album dure 77 minutes, c'est parce qu'on estime que tout ce qui s'y trouve en vaut la peine. Je pense aussi que ce fut l'un des disques de Metallica les plus faciles à faire. Les réactions des fans sont super enthousiastes depuis sa sortie.

Qu’attendez-vous d’une chanson de Metallica aujourd’hui ?
Une chanson de Metallica doit me bousculer émotionnellement quand je la joue et quand je l’écoute. Elle doit m’ouvrir l’esprit et m’apporter une énergie positive. Elle doit m’emmener là où je ne suis pas allé auparavant, notamment dans les solos de guitare. Le titre 'Inamorata' est un bon exemple. Le morceau est né lors de notre dernière tournée. J’avais collé un riff et nous avons commencé à travailler autour de ça. On ne corrigeait rien ; on ajoutait encore et encore. C’est devenu un morceau épique sans que nous en rendions compte. Bien sûr, en studio, nous avons mis plus de rigueur dans la composition. Ce qui est dingue, c’est que lorsque nous avons tous été satisfaits du résultat, personne n’a remarqué qu’"Inamorata" durait onze minutes. De toute l’histoire de Metallica, c’est ce que nous avons fait de plus long. Par son atmosphère et ses couches sonores, "Inamorata" était le morceau de clôture idéale de l’album. Ce titre est comme un voyage…
"72 Seasons" part du postulat d'une vie façonnée par notre environnement familial et courue d'avance. À dix-huit ans, quelles étaient vos aspirations ?
J’ai eu une enfance difficile : maltraitance, père alcoolique, violences conjugales… Je quittais rarement ma chambre. Ma guitare ainsi que ma passion pour les films d’horreur me permettaient de m’évader. Quand mon père est parti, on a dû aider notre mère. Très vite, j’ai appris à me débrouiller, faire les courses, préparer à manger. Je n’avais pas le temps de gamberger sur mon futur, mais j’ai très vite compris que j’avais le choix et la responsabilité de mes actes. Donc, oui, ce passé tumultueux m’a permis de façonner l’adulte que je suis devenu.
Votre longévité et votre succès vous ont-ils donné plus de liberté ?
Oui, Metallica domine la scène metal mondiale. Personne ne peut nous dicter sa loi. On fait ce qu’on veut et surtout on ne fait pas ce qu’on ne veut pas. On doit ça aux fans, nous les respectons plus que tout et leur sommes redevables. Ils attendent de nous que nous ne fassions aucun compromis. Ils savent aussi que si nous sortons un album à l’âge que nous avons, c’est parce que nous avons le sentiment d’avoir fait du bon boulot.