I Lombardi, célébration vocale dans un univers raffiné
Opéra. À l’ORW, belle découverte d’un autre Verdi des années de galère
Publié le 25-05-2023 à 15h57
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Si l’on devait calculer le pourcentage réservé aux chœurs dans chaque opéra, il est probable que I Lombardi alla prima crociata arriverait en haut du tableau. Créé à Milan en 1843, le quatrième opéra de Verdi est à l’affiche à Liège et, après quelques flottements dans la première scène, les chœurs de l’Opéra de Wallonie, minutieusement préparés par Denis Segond, s’acquittent avec soin et intensité de leurs douze interventions. C’est un des bonheurs de l’œuvre (donnée pour la première fois dans notre pays et dirigée avec efficacité et énergie par Daniel Oren), mais ce n’est pas le seul : l’ensemble de la partition est riche de multiples airs, cabalettes et de quelques ensembles qui prennent aux tripes. Comme dans Alzira plus tôt cette saison, la preuve que les Verdi oubliés des années de galère ne sont jamais sans intérêt.
Coup de chapeau à Salome Jicia, qui s’acquitte avec maestria de l’écrasant rôle de Giselda : voix précise et largement timbrée, d’une homogénéité parfaite dans tous les registres, d’une intonation irréprochable, capable d’attaques précises, des nuances les plus subtiles et de sons filés, la soprano géorgienne est formidable, même si on la sent moins dans son élément quand elle doit, en plus de tout le reste, vociférer à plein poumons. Saluts aussi, une fois n’est pas coutume, au konzertmeister Julien Eberhardt, à qui le troisième acte réserve une intervention solo digne de la fameuse Méditation de Thaïs.
La Pagano de Goderdzi Janelidze se révèle d’abord monolithique et non exempte de fragilités en première partie, mais se fait plus constante et même assez impressionnante en seconde. Les deux ténors sont excellents : Ramon Vargas, Oronte suave et solaire, et Matteo Roma, Arvino vaillant qui arrive à exister à travers des scènes collectives et des récitatifs, Verdi ne lui ayant laissé qu’une aria.
La mise en scène de Sarah Schinasi est tout en épure et recherche de l’esthétique. Tournant le dos à tout naturalisme, la metteuse en scène italienne ne montre ni le sang sur l’épée, ni les eaux du Jourdain pour le baptême, et la violence n’est ici qu’esquissée. Articulant astucieusement des boîtes et tiroirs qui s’ouvrent latéralement, en profondeur ou en hauteur, les décors de Pier Paolo Bosleri jouent eux aussi la carte de l’allusion : l’arrondi d’un arc roman pour la cathédrale saint-Ambroise de Milan, des patines bleutées pour le Palais d’Antioche, ou un très beau plan stylisé en relief qui descend à la verticale pour dire Jérusalem. Avec aussi les lumières raffinées de Bruno Ciulli et les costumes d’une sobre beauté de Françoise Raybaud, qui ménagent une discrète polychromie pour que plusieurs scènes puissent se lire comme des tableaux, la soirée est aussi un régal pour les yeux. Le tout peut laisser un sentiment de statisme, surtout quand les solistes peinent à bouger avec naturel (Pagano, Oronte), mais il suffit de voir l’entrée de Giselda au troisième acte pour comprendre qu’un chanteur qui sait se déplacer avec naturel peut aussi habiter de tels espaces.
Liège, Théâtre Royal, les 25 et 27 mai ; www.operaliege.be