Mozart en version bilingue et vulgaire
A l’Opéra flamand, une assez consternante version des Noces de Figaro
- Publié le 31-05-2023 à 20h31
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Même si le résultat ne convaincra pas nécessairement le public international qui avait pris l’habitude de fréquenter l’Opéra flamand, la salle de Gand était enthousiaste mardi soir pour la première des Noces de Figaro. A l’applaudimètre, le public local semble avoir particulièrement apprécié les commentaires en patois gantois de Marcellina sur fond de musique de Mozart, les diverses postures graveleuses des solistes ou l’immortelle proposition de Bartolo de céder à Figaro, fraîchement identifié comme son fils, de sleutels van mijn Opel Corsa. Et, surtout, le fait de faire chanter en flamand, par les voix amplifiées de deux comédiens (Eva Van der Gucht et Stefaan Degand) la plupart des parties vocales dévolues à Marcellina, Bartolo et Antonio (deux jeunes chanteurs, rebaptisés avocats de Marcellina et Bartolo, sont justes là pour assurer – dans l’italien original du livret de Da Ponte – les parties aigues des rôles), et notamment dans le grand sextuor Riconosci in questo amplesso devenu ainsi bilingue.
Après l’insertion de dialogues parlés en flamand dans Ernani de Verdi en décembre, l’OperaBallet Vlaanderen fait donc un nouveau pas (en avant ? en arrière ?) dans la reconnaissance de sa langue vernaculaire en revenant à cette époque qu’on pensait révolue où, à Gand, des chanteurs se produisaient dans une œuvre en chantant chacun dans leur propre langue. Pas sûr que Mozart en sorte grandi, d’autant que l’orchestre de la maison, dirigé par la Française Marie Jacquot, accuse pas mal de faiblesses (vents imprécis, cordes ramollies) et que le reste de la distribution (les “vrais” chanteurs d’opéra) est tout au plus honnête : rien de marquant à retenir chez Maeve Höglund (Susanna), Božidar Smiljanić (Figaro), Anna Pennisi (Cherubino), Lenneke Ruiten (la Comtesse) ou Kartal Karagedik (le Comte).
Il faut dire sans doute à la décharge des solistes que Tom Goossens leur a manifestement donné injonction de faire primer la vérité dramatique sur la beauté du chant, ce qu’ils font consciencieusement. Et tant pis pour eux si le Flamand aime forcer le trait et rire grassement, allant par exemple jusqu’à déplacer sur sa fesse le tatouage que Figaro est, selon le livret, censé porter au bras, histoire de faire esclaffer la salle en lui faisant baisser son pantalon.
On aimerait être admiratif de ce jeune metteur en scène de 29 ans, chargé d’un des plus grands classiques de l’opéra pour sa première mise en scène dans le genre, et qui a réuni autour de lui pour l’occasion une brochette d’artistes souvent fraîchement émoulus des écoles flamandes de théâtre. Mais en même temps, on ne peut que regretter la vulgarité consternante du résultat théâtral. En se disant que, oui, peut-être, s’agissant du rire en tout cas, il y a deux cultures différentes dans ce pays.
Gand, Opera, jusqu’au 11 juin ; Anvers, Opera, du 23 juin au 6 juillet ; www.operaballet.be