Noel Gallagher: "En interview, je fais ma grande gueule, je joue au malin, mais dans la vie, je suis un mec timide et discret"
Le musicien rend hommage à sa ville natale de Manchester sur Council Skies, son meilleur album solo à ce jour. Il évoque ses racines ouvrières, ses héros rock, Oasis et… Kevin de Bruyne.
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- Publié le 03-06-2023 à 20h27
- Mis à jour le 03-07-2023 à 14h31
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Prise par l’artiste anglais Kevin Cummins, le cliché illustrant la pochette de Council Skies, le quatrième album solo de Noel Gallagher, a valeur de symbole. La photo dévoile des instruments de musique posées au centre de la Memory Lane, l’avenue qui conduisait jadis au stade de Manchester City.

Dans ce disque, le supporter numéro 1 du club mancunien renoue avec son passé, évoque ses aspirations débridées et interroge le monde d’aujourd’hui, notamment sur les excellents "Pretty Boy" (avec un remix bonus signé Robert Smith de The Cure) et la ballade "Dead To The World". Avec son groupe Oasis, dont le tout premier single "Supersonic" soufflera ses trente bougies en 2024, Noel Gallagher a tout gagné. Âgé de 56 ans, le guitariste et compositeur n’a plus rien à prouver en solo, mais il met toujours autant de cœur à l’ouvrage. Confrontant nostalgie et expérience, ballades cuivrées "à la Eleanor Rigby" et décharges plus électriques, Council Skies est sans doute ce qu’il a fait de mieux depuis l’implosion d’Oasis en 2009.
C’est au lendemain de la prestation cinq étoiles de Kevin De Bruyne en demi-finale de la Champions League contre le Real de Madrid que nous l’avons contacté par Zoom. Et le bonhomme était chaud boulette.
Un mot sur notre Kevin de Bruyne national ?
Il est tout simplement incroyable. C’est le joueur le plus intelligent de la planète foot. Manchester City fait une saison de rêve et c’est Kevin qui tire l’équipe vers le haut. Son but égalisateur à Madrid en demi-finale de la Champions League a changé toute la dynamique de l’équipe. Jusque-là, les Espagnols étaient favoris et c’est grâce à lui que City a pris l’ascendant. Si quelqu’un mérite de gagner la Champions League, c’est bien lui. On se connaît. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Il est très inspirant comme être humain. Voilà un mec discret dans la vie de tous les jours qui ne fait rien pour attirer l’attention sur lui. J’admire ça. Mais dès qu’il monte sur le terrain…
Doit-on comprendre votre nouvel album comme un hommage à Manchester et à sa population?
Council Skies, la chanson qui donne son titre au disque et a inspiré la pochette, est clairement un voyage dans le temps. J’ai grandi dans un milieu modeste. Le club de Manchester City et le rock me permettaient de m’en évader. Ouvrir la fenêtre de la petite maison où je vivais, regarder le ciel et rêver de ce que la vie pourrait être… Voilà l’esprit de cette chanson. Manchester fait partie de ma vie et ça se ressent forcément dans certaines compositions. Quand tu as l’âge que j’ai, tu te sers de ton expérience pour continuer à avancer. Mais cet album ne s’inscrit pas seulement dans la nostalgie. Je parle aussi du présent, des relations humaines, de ce qui m’entoure.
Même dans vos chansons les plus mélancoliques, il y a toujours un part d’espoir. C’est votre marque de fabrique ?
Oui. J’ai toujours fait ça. Que ce soit avec Oasis ou sur mes disques solo, que je parle d’une relation sentimentale ou d’une observation plus générale, j’ai ce réflexe… Je peux mettre un riff de guitare plus dur pour contrebalancer un propos plus amer. Ou écrire un refrain lumineux après un couplet plus sombre. Council Skies a été écrit pendant le lockdown. Pour nous, Anglais, il y a aussi le Brexit qui a rendu encore plus fort ce sentiment d’isolement. Ça explique sans doute la mélancolie qui ressort de certaines chansons de Council Skies, mais j’exprime aussi la volonté d’en sortir. C’est un truc très 'working class hero' ("Héros de la classe ouvrière", allusion à la chanson de John Lennon, NdlR) que j’ai au plus profond de moi. Tu affrontes la dureté de la vie, mais tu sais que tu finiras toujours par surmonter.
Council Skies a été écrit pendant le lockdown. Pour nous, Anglais, il y a aussi le Brexit qui a rendu encore plus fort ce sentiment d’isolement".
Votre héros Johnny Marr, l’ancien guitariste de The Smiths, joue sur l’album. C’est grâce à lui que vous êtes là ?
Oui. En 1983, je joue déjà de la guitare. Mais ce n’est qu’un hobby. Je fais ça dans mon coin, je n’ai même pas de groupe. Et puis je vois ce mec interpréter This Charming Man, avec The Smiths dans l’émission Top Of The Pops sur la BBC. C’est une révélation. Johnny habite à deux stations de bus de chez moi, nos parents se connaissent. Et là, il passe à la télé, il est trop cool, il joue comme un Dieu. Je me dis : "je veux devenir Johnny Marr". Et ma vie bascule.
Dans "Pretty Boy", vous évoquez les rêves de l’adolescence. Pensez-vous les avoir tous réalisés ?
Oui, tout s’est accompli. Définitivement. J’ai eu un groupe de rock, j’ai écrit des tubes, j’ai tourné dans le monde entier et je sors les albums qui me plaisent. Plus rien ne peut m’arriver de mieux. Pretty Boy est aussi une réflexion sur les générations. Je regarde mes ados qui passent leur temps sur TikTok ou sur des jeux vidéos et je me dis : "à la fin de la journée, ils n’auront pas œuvré pour réaliser leurs rêves". Moi, à leur âge, je grattais sur ma guitare et je tapais sur un ballon de foot avec mes frangins dans la cour derrière chez moi en rêvant d’être dans un groupe ou de jouer à Manchester City. Pour eux, jouer foot, c’est aller sur FIFA 2024 avec leur putain de Playstation. Pfff…
Vous avez écrit des hymnes qu’on chante dans les stades. Qu’est-ce doit avoir une chanson pour figurer aujourd’hui sur un de vos disques?
La chanson doit m’émouvoir. Ça fait trente ans que j’en écris. Je crois savoir aujourd’hui ce qui distingue une bonne chanson d’une mauvaise. Mais je me laisse toujours guider par l’instinct du moment présent. J’aime me surprendre moi-même. Si je viens de faire trois ballades, j’aurai envie de passer à un morceau plus nerveux. Si tu prends Pretty Boy et Dead To The World sur ce disque, ce sont deux vibrations complètement différentes. Pour la première, tout est dans le groove. Dans la seconde, nous sommes davantage dans l’émotion. J’ai toujours fait comme ça. Aucune des plus grandes chansons d’Oasis ne se ressemble.
Dans votre répertoire, qu’est-ce qui se rapproche le plus de la définition de la chanson pop parfaite ?
Dans tout mon catalogue ? C’est impossible de répondre. Pour la plupart des gens, ça doit être Don’t Look Back In Anger (tiré du deuxième album d’Oasis (What’s The Story) Morning en 1995). Elle fait encore lever des stades entiers. Est-ce que c’est la chanson pop parfaite? Je ne sais pas. Sur mon nouvel album, Easy Now se rapproche sans doute le plus de cette définition. Elle possède un bon texte, un bon groove, un refrain accrocheur, un truc un peu psyché et un chouette solo de guitare.
À la sortie de votre premier album solo, en 2009, vous nous disiez avoir peur de vous retrouver seul au centre de la scène et plus à l’arrière comme avec Oasis. Êtes-vous plus à l’aise aujourd’hui ?
Je me sens un peu plus à l’aise, mais alors un tout petit peu. Je suis compositeur et guitariste, pas performer. J’aimais bien rester collé à mon ampli à l’arrière de la scène. Maintenant je dois faire avec. En interview, je fais ma grande gueule, je joue au malin. Mais dans la vie, je suis un mec timide et discret. J’ai 56 ans, je ne vais pas changer. En concert, je crois que les gens attendent plus de moi que ce que je peux leur donner.