Riccardo Chailly célèbre Verdi
À l’occasion de ses 70 ans, le chef d’orchestre emmène La Scala à Bozar.
- Publié le 08-09-2023 à 14h54
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Ce grand déplacement a-t-il pour vous un sens particulier, dans le cadre de votre anniversaire ?
70 ans, c’est un âge très crucial, bien sûr. Longue est la tradition des grandes tournées de La Scala et du rapport étroit qui lie l’institution à Verdi. Le premier exemple qui me vient en tête est celui de la création du Requiem, par Verdi lui-même en l’église de San Marco. Plus tard, il y eut aussi la création de ses Quatre pièces sacrées, deux œuvres intimement liées à notre maison. La tradition remonte aussi au chef Arturo Toscanini qui aimait parcourir le monde en présentant des extraits symphoniques et chorals de Verdi en version de concert. Voilà comment se forme la tradition.
Certaines pièces du programme – je pense à Va Pensiero de Nabucco – revêtent une véritable dimension politique.
Oui, bien sûr. Ce programme, présenté dans le magnifique écrin acoustique de Bozar souligne par ordre chronologique neuf œuvres du compositeur qui, mises ensemble, constituent trente ans d’évolution créative. Il s’agit d’une odyssée fascinante dans la trajectoire d’un homme qui est parvenu à démontrer son originalité dès sa première œuvre et qui, pourtant, n’a pas cessé de remettre son style en question. Le chœur des esclaves dans Nabucco est aussi important musicalement qu‘historiquement, dans le rapport des peuples d’Italie à leurs oppresseurs. En ce sens, le chœur des révoltés dans Macbeth est aussi très important. Comment ne pas reconnaître un peu de cette nécessité de s’affranchir des tyrans dans le monde d’aujourd’hui ?
Le grand absent du programme, est la fugue conclusive de Falstaff, le dernier opéra de Verdi, qui décrète que le monde n’est qu’une farce.
Conclusion qui représente l’un des points de rencontre essentiels entre la philosophie de Verdi et celle de Shakespeare, qui inspira Falstaff. Il y a dans cette dernière fugue quelque chose du génie, ayant atteint son absolue maturité, qui rappelle qu’il a non seulement fait l’histoire, mais qu’il a aussi compris le monde moderne. Nous terminerons notre programme par la marche triomphale d’Aïda. On part de Nabucco, écrit en 1842 et on termine avec Aïda composée vingt-neuf ans plus tard. Et ce que nous démontrons là, ce n’est pas seulement une évolution darwinienne du geste musical de Verdi, mais que dans les premières années de sa carrière, il y avait dans chaque opéra des marches qui préfiguraient celle d’Aïda.
Vous êtes un chef italien, totalement verdien, mais également un grand symphoniste avide de vastes partitions germaniques.
Oui et en ayant passé près de 20 ans à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, on peut aussi m’étiqueter comme un musicien hollandais. L’identité est une chose mystérieuse. Je préfère laisser ces questions à l’appréciation du public, qu’il définisse lui-même ce qu’il comprend de la relation d’un chef à un répertoire. Mais voilà que je suis à La Scala depuis dix ans et là, j’ai trouvé important de me recentrer sur Verdi et sur Puccini, en explorant parfois certaines de leurs œuvres les moins connues. J’ai ouvert ma première saison à Milan avec Giovanna d’Arco, un opéra de jeunesse, créé à La Scala mais oublié par l’institution pendant près de cent ans. Idem pour Puccini, dont je dirige souvent l’œuvre mais dont je donnerai bientôt La Rondine, chef-d’œuvre qui ne jouit pas de la popularité qu’il mérite, car porteur d’audaces de langage qui n’ont pas toujours été comprises.
Et sur ces grandes tournées orchestrales ?
C’est un exercice en soi qui a été inauguré, comme je le disais par Toscanini et pérennisé par des artistes comme Claudio Abbado et Riccardo Muti, chacun laissant derrière eux une gravure de ces “morceaux choisis”. Après Abbado dans les années 70 chez Deutsche Gramophon et Muti dans les années 80 chez EMI, je viens de sortir un disque chez Decca, dont le programme sera identique à celui de notre concert bruxellois. Je connais très bien Bozar et je suis impatient de diriger nos 200 musiciens dans cette salle. On parle souvent d’identité de nos jours, mais ce qui compte, à mes yeux, ce n’est pas tant l’identité de l’orchestre que sa spécificité sonore dans ce répertoire. Car, dans cette musique, le mot, au sens littéraire, a une importance considérable : dans l’articulation, dans les couleurs et dans le style d’un jeu qui n’appartient qu’à La Scala.
Orchestra e Coro del Teatro alla Scala & Riccardo Chailly, 9 septembre, à Bozar, Bruxelles.