"Cassandra", entre mythologie et actualité
Création dimanche à Bruxelles du premier opéra de Bernard Foccroulle, l’ancien patron de la Monnaie.
- Publié le 10-09-2023 à 19h06
- Mis à jour le 10-09-2023 à 19h07
À droite, Cassandre, personnage clé de la mythologie : fille de Priam et d’Hécube, elle reçut d’Apollon le don de prophétie mais, ne supportant pas qu’elle se refuse à lui, le dieu furieux lui cracha dans la bouche un sort tel qu’elle ne serait jamais crue. À gauche, Sandra, activiste climatique, lasse de n’être pas entendue quand elle sonne l’alarme sur un monde qui se réchauffe inexorablement. La femme du passé et celle d’aujourd’hui sont les deux personnages centraux de Cassandra, le premier opéra de Bernard Foccroulle, qui sera créé ce dimanche à la Monnaie : “Plutôt que d’avoir une Cassandre mythologique modernisée, j’ai proposé un double récit : un récit qui se passe dans un temps mythologique autour de Cassandre, et un récit actuel – avec toutes sortes de conséquences sur la musique – avec une Cassandre d’aujourd’hui. Des Cassandre d’aujourd’hui, on aurait pu en trouver dans le domaine de la pensée, dans le domaine scientifique, dans le domaine des droits de l’homme, mais le sujet qui est le plus manifeste est celui de la crise climatique, avec toutes ses conséquences, sociales et autres. ”
Un rêve devenu réalité
À ceux qui disent que l’opéra, s’il veut survivre, ferait mieux de traiter des problématiques actuelles que de ressasser sans fin les grands mythes du passé, le Belge répond donc que l’un n’empêche pas l’autre. Celui qu’on connut d’abord comme organiste et qui se révèle aujourd’hui comme compositeur sait de quoi il parle : ancien patron de la Monnaie puis du Festival d’Aix-en-Provence, il a attendu d’être sorti de charge pour passer de l’autre côté du rideau “Le désir de faire un opéra était un rêve, et il est devenu un projet au moment de quitter le festival d’Aix, même si c’était encore vague. Au début de la pandémie, en 2020, j’ai relu toutes les grandes pièces grecques, Eschyle, Sophocle, Euripide, et c’est alors que la figure de Cassandre s’est imposée : c’est un personnage très actuel, mais peu utilisé à l’opéra, à part Berlioz et Jarrell ”
L’écriture de l’œuvre s’est poursuivie de 2020 à 2021, Foccroulle collaborant d’emblée avec son librettiste Matthew Jocelyn (qu’on a connu comme metteur en scène à la Monnaie, mais qui a aussi signé le livret du remarquable Hamlet de Brett Dean et que Philippe Boesmans avait recommandé à Foccroulle), le dramaturge Louis Geisler et, ensuite, avec la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole : “Geisler a travaillé sur toutes les sources littéraires des XIXe et XXe siècle, et moi j’ai voulu profiter de la présence en Belgique de toute une génération de jeunes activistes qui se sont mobilisés dans les deux années qui ont précédé la pandémie, et j’ai proposé qu’on les contacte pour voir comment nous pourrions nous mettre à l’écoute de jeunes d’aujourd’hui qui se retrouvent dans des situations proches de Cassandre : quel était leur quotidien, quels étaient leurs ressentis, ce que leur inspirait le mythe de Cassandre, quelles étaient les contradictions qu’elles peuvent vivre entre leurs idéaux et la vie de tous les jours…”

Elles ? C’est que, explique Foccroulle, ces Cassandre modernes sont majoritairement des femmes, à commencer par leurs deux figures de proue : Anuna De Wever et Adelaïde Charlier. "Les unes vivaient dans des familles qui les soutenaient, mais d’autres étaient confrontées à une incompréhension, voire une hostilité de leurs proches. Plusieurs nous ont dit aussi ne pas vouloir avoir d’enfants : c’est assez terrible de constater ce déficit de confiance en l’avenir. Cela a nourri l’opéra… ” On retrouvera ainsi dans Cassandra une scène de dîner de famille où Sandra et son ami Blake se disputent avec les parents de la jeune fille, mais aussi des débats entre les fiancés sur le refus d’enfant de la jeune activiste alors que, au contraire, sa jeune sœur Naomi est enceinte (la relation entre les deux sœurs n’étant pas sans évoquer Elektra et Chrysostemis dans l’opéra de Strauss). Et si, comme de coutume, il sera convenu que toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé est purement fortuite, il est pour le moins intéressant de voir l’opéra se nourrir du monde actuel. Entre les scènes mythologiques, les scènes actuelles et les interventions des esprits, il y aura même… des abeilles : pas de référence à Rimski-Korsakov mais, à travers trois scènes où elles seront de moins en moins nombreuses, une façon de dire l’extinction de la biodiversité.
Bruxelles, La Monnaie, du 10 au 23 septembre ; www.lamonnaie.be