Cette fois, il faut vraiment écouter Cassandre !
Fruit d’un vrai travail d’équipe, l’opéra de Bernard Foccroulle est une réussite.
- Publié le 11-09-2023 à 16h26
Il faut vraiment écouter Cassandre, la fille de Priam et Hécube ! Dans la première scène de Cassandra, l’opéra de Bernard Foccroulle créé dimanche à la Monnaie, alors que le décorateur Fabien Teigné croyait nous montrer la chute de Troie, c’est le tremblement de terre du Maroc que nous voyons. Mais il faut aussi écouter la prophétesse dans son incarnation contemporaine, Sandra Seymour, cette doctorante spécialiste de l’histoire glaciaire, tellement désespérée de voir que le monde n’entend pas ses appels à réagir au réchauffement climatique qu’elle n’a pu, énergie du désespoir, que se faire stand-uppeuse, The climate clown : la catastrophe est pour demain, elle est même là.
Il faut vraiment écouter Cassandra ! En un peu moins de deux heures données d’un seul tenant, l’opéra de Bernard Foccroulle démontre d’éclatante façon que l’avenir du genre lyrique passe notamment par de telles œuvres nouvelles qui savent nous faire réfléchir sur des questions d’aujourd’hui. Polytonale, consonante, riche et diversifiée, la partition de l’ancien directeur de la Monnaie n’a sans doute rien de révolutionnaire, ni même de novateur, mais elle est d’une efficacité dramatique imparable et d’une grande expressivité. Et qui plus est très bien écrite pour les voix même si, à certains moments, l’équilibre entre le plateau et la fosse devra encore être affiné pour que tout le monde soit entendu. On n’est, notamment, pas près d’oublier l’intense duo final entre Cassandra, la figure mythologique, et Sandra, la figure scientifique, un moment d’une réelle beauté.
Adéquation des solistes
Dans la fosse, Kazushi Ono dirige avec une compétence discrète une partition qui fait la part belle aux cordes, mais où les percussions ont leurs moments de présence déterminante et où certains vents – le saxophone alto particulièrement – tirent aussi leur épingle du jeu. Sur scène, la distribution emporte immédiatement l’adhésion par l’adéquation de chaque soliste à son personnage : si l’on peut éventuellement mégoter sur un léger manque de grave chez Katharina Bradic (Cassandra par ailleurs excellente) ou sur le style excessivement effacé de Paul Appleby (Blake), Jessica Niles campe une Sandra prodigieuse d’énergie et de netteté, Gidon Saks impressionne par l’autorité puissante qu’il confère aux deux figures paternelles et Sarah Defrise est éblouissante en Naomi.
Si l’on écoutera Cassandra, c’est aussi pour le livret de Matthew Jocelyn, habile dans l’invention des personnages et des situations, remarquablement construit dans son découpage des péripéties et dans sa gestion parallèle des époques. Peut-être peut-on le trouver parfois un soupçon bavard à force de vouloir trop dire et trop raconter, voire plus factuel et dramatique qu’esthétique, mais ce sont là trait inévitables pour une œuvre qui, justement, cherche au moins autant à convaincre – rhétorique – qu’à séduire – poétique.
Il faut vraiment écouter Cassandra, mais il faut aussi la voir ! Pas d’esbroufe mais la même efficacité dans la mise en scène de Marie-Eve Signeyroles, qui agglomère au service du projet un grand cube modulable percé d’alvéoles (les abeilles sont partout), les belles lumières de Philippe Berthomé, les costumes idéaux de Yashi, un peu de vidéo (Artis Dzèrve), mais aussi bien sûr ce qu’il faut de direction d’acteurs. Avec à la clé un défi relevé : qu’elles soient mythologiques, poétiques ou du quotidien, les scènes (si ce n’est peut-être celles d’intimité physique) sont également réussies.
La Monnaie, jusqu’au 23 septembre ; www.lamonnaie.be. Diffusion sur Musiq3 le 7 octobre à 20h.