Mozart selon Milo Rau : plus vraiment de l’opéra, mais pas non plus du théâtre
Le metteur en scène suisse soumet "La clemenza di Tito" à ses dogmes. Peu convaincant.
- Publié le 12-09-2023 à 16h31
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Quand il était directeur du Théâtre de Gand, Milo Rau avait théorisé les règles qui, selon lui, devaient s’imposer à toute production théâtrale : publié en 2018, son Manifeste de Gand, qui n’hésitait pas à se comparer au Dogme95 des cinéastes scandinaves, se donnait pour but de changer le modèle théâtral par dix principes. Il fallait, notamment, ne plus seulement représenter le monde mais le changer, ne laisser aux textes classiques que 20% de la durée de la représentation, parler au moins deux langues différentes sur scène, réserver des rôles à au moins deux acteurs non professionnels…
Pour son retour en Flandre et ses débuts lyriques (un spectacle coproduit avec le Grand Théâtre de Genève qui l’a donné, mais uniquement en streaming, voici deux ans), le metteur en scène suisse tente d’appliquer la grille à l’opéra. Il a choisi La clemenza di Tito. Parce qu’il aime l’œuvre ou la trouve intéressante ? Loin s’en faut : tout au long de la soirée, il en dénonce le conservatisme – politique, théâtral et musical – et règle ses comptes avec un Mozart absent en tentant de toutes les façons de déconstruire et décrédibiliser son avant-dernier opéra. D’où une série d’incongruités qui, loin d’innover, ont été vues et revues depuis trente ans : actualisation (camp de réfugiés installé dans un musée sur fond de luttes syndicales), sang complaisamment étendu sur les visages des personnages, meurtres par armes à feu ou lynchages, violence, vidéo live en gros plan, interruptions récurrentes de la soirée par des actions parallèles, des éléments musicaux non mozartiens ou des déclarations et récits sans rapport avec l’opéra…
Capharnaüm
Dès lors que ce capharnaüm scénique se pare d’un discours idéologique, tout qui le critique sera taxé de conservatisme. Mais la prétendue modernité de ce bouleversement n’est qu’une imposture qu’il faut pourtant dénoncer : les figurants/pseudo-réfugiés amenés sur scène sont gérés n’importe comment, les clichés volent bas et en escadrilles, et ce mauvais théâtre, donné dans une salle subventionnée qui finance largement cette déconstruction et son organisateur, fait bien moins avancer la cause des réfugiés que Cassandra nous interpelle efficacement sur l’urgence climatique.
Noyée de digressions, régulièrement interrompue et dans un ordre parfois modifié, la partition de Mozart ne peut pas sortir intacte de l’entreprise. Nourri de tout l’héritage "baroqueux", Alejo Perez dirige de façon avec énergie et verve (mais parfois avec des tempi étonnamment lents), et on admire les chanteurs qui, mal attifés, salis, perdus dans la masse, réussissent à délivrer des prestations de qualité dans un environnement aussi peu soutenant : Jeremy Ovenden (Tito émouvant même si l’aigu est parfois instable), Anna Malesza-Kutny (Vitellia intense mais aux attaques imprécises), Anna Goryachova (éblouissant et bouleversant Sesto), Maria Warenberg (excellent Annio), Sarah Yang (impeccable Servilia) et Eugene Richards III (Publio efficace).
Anvers, jusqu’au 21 septembre ; Gand, du 1er au 8 octobre. www.obv.be