Couleur Café : Papy de Crécy fait de la résistance
Du haut de ses 46 ans, Etienne de Crécy fait figure de vétéran de la scène électronique internationale et est considéré comme l’un des pères de la "French touch". L’excellent DJ français se produira à Couleur Café ce samedi soir. Interview.
Publié le 02-07-2015 à 15h13 - Mis à jour le 03-07-2015 à 09h41
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/4NHMXTZ4QBF33AH6UGM3XA22TE.jpg)
Décalé d’une semaine, cette année, Couleur Café investit Tour & Taxis, dès ce vendredi. S’il célèbre sa 26e édition, le festival bruxellois semble perdre chaque été un peu de son identité. Avec toujours plus d’electro au menu, dont l’excellent DJ français Etienne de Crécy.
Du haut de ses 46 ans, Etienne de Crécy fait figure de vétéran de la scène électronique internationale et est considéré comme l’un des pères de la "French touch". Une déclinaison de la house music à grands renforts de samples, teintée de couleurs funk et disco, popularisée dans les années nonante. L’appellation apparut en 1987 lors de soirées du même nom au Palace parisien. On la doit au photographe Jean-Claude Lagrèze, qui les organisait. Hier, le fait de Dimitri from Paris, Air, Alan Braxe, Alex Gopher, Benjamin Diamond, Bob Sinclar, Cassius, Demon, Modjo, Mr. Oizo ou des incontournables Daft Punk. Aujourd’hui ralliée aux travaux de Breakbot, Justice, C2C, Kavinsky, M83 ou Gesaffelstein.
L’ascension d’un label comme Ed Banger a permis à une scène électronique française en sommeil de se réveiller. C’est le sieur de Crécy qui le dit. Lui était de la première vague, au sein du duo Motorbass avec Philippe Zdar, dont l’album "Pansoul" (1996) constitue une des pierres angulaires de la "French touch". En janvier, une décennie après le précédent, l’ami Etienne publiait le troisième volet de sa série "Super Discount", synthèse selon lui "du côté funky du 1 avec le côté electro froid du 2". Une formule bien huilée pour un "papy" qui sait toujours s’y prendre pour dérouiller les déhanchés.
Vous êtes considéré comme l’un des fondateurs de la "French touch".
Je n’ai pas la prétention d’être un inventeur. A l’époque, on s’inspirait beaucoup. Les Daft Punk, même s’ils ont créé un son, se sont énormément inspirés de la scène de Chicago. Ils ont vulgarisé un son qui existait déjà, et l’ont tellement bien fait qu’ils ont rendu facile d’accès une musique plutôt pointue […] Moi aussi je m’en suis abreuvé, comme de la scène anglaise ou de celle de Détroit. Des gars comme Derrick May ou Juan Atkins sont de vrais pionniers à mon sens. Même s’ils diront s’être inspirés de tels ou tels autres.
Aujourd’hui, le label "French touch" semble être devenu une étiquette fourre-tout.
C’est devenu un argument commercial. Désormais, Français + DJ = French touch. Mais pas seulement, puisque des marques de voitures comme Renault par exemple, l’utilisent aussi comme argument de vente. En cela, "Super Discount" était peut-être précurseur.
Que reste-t-il de ce son ?
Il y a ce côté assez funky (ce qui exclut la techno plus frontale de Vitalic et Laurent Garnier, d’ordinaire étiquetés "French touch", NdlR), cette touche groovy que l’on retrouve chaque fois […] Des sonorités à nouveau au goût du jour, redigérées avec les sons d’aujourd’hui et une production différente… Si pour nous ça sonne rétro, pour la jeune génération, cela semble nouveau. Chaque génération est fascinée par la musique qui avait cours vingt ans avant.
Et soudain "Super Discount 3" apparaît, dix ans après le deuxième, vingt ans après le premier…
J’ai tourné pendant cinq ans avec le cube (impressionnante armature de la tournée "Beats’n’Cubes", NdlR). Un gros truc, de 6 m de large et 6 m de haut, qui demandait une musique massive, frontale. Par ailleurs, lorsque je mixais, je peinais à trouver des morceaux pour alimenter mes sets. Les gens n’en pouvaient plus, cela faisait cinq ans qu’ils se faisaient écraser par les infrabasses. Ils se remettaient à danser dès que le son devenait plus funky. L’envie était là, et c’est quelque chose que je savais faire. Donc j’ai composé mes propres morceaux à passer en soirée. "(Night) Cut the Crap" et "Hashtag My Ass" d’abord, qui furent bien accueillis. D’où l’envie d’en faire un album.
Avec à nouveau d’étranges titres de morceaux.
Après des titres en français inspirés des promos hard-discount (Prix choc, Destockage massif, Tout à 10 balles) sur le premier, des titres en anglais empruntés aux protocoles de peer-to-peer (Soulseek, Bit Torrent) pour le second, ce sont les hashtag les plus répandus sur Twitter qui ont donné les titres de ce troisième volet. Dans chaque époque, je choisis ce qu’on peut trouver de plus cheap […] C’est une mini-moquerie même si j’aime beaucoup les réseaux sociaux. Je crois que le consensus naît de la communication. Ce truc-là, c’est une rumeur mondiale qui fait que les gens parviennent à se mettre d’accord… J’y vois quelque chose de positif.
Cela peut déboucher à l’uniformisation des goûts et de la culture aussi…
Je n’y crois pas vraiment. Quand j’ai débuté, on allait chez le disquaire, un millier de maxis sortait par jour, on trouvait ça énorme. Aujourd’hui, grâce à des plateformes comme Beatport ou SoundCloud, les chiffres ont explosé. Les gens peuvent mettre leur musique directement en ligne, et des dizaines de milliers de morceaux sortent chaque jour. En conséquence, les sets de DJ sont beaucoup plus personnalisés. Avant, une poignée de directeurs artistiques décidaient de ce qui deviendrait ou pas un morceau, quatre ou cinq magazines donnaient des notes à la sortie, et ces tubes étaient repris par tous. Là c’était uniformisé. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Chaque DJ, esseulé face à son ordinateur pour traquer la perle, peut définir son propre son. Ce qui donne plus de variété […] Même les commentaires des haters font avancer le débat. Pour nous, artistes, qui ne vendons plus de disques, les réseaux sociaux ont remplacé les charts.
Etienne de Crécy sera à Couleur Café (Univers, Oh).