Clara Luciani : "A chaque fois que j'ai eu des coups durs, j'ai écrit des chansons"
- Publié le 12-05-2017 à 13h42
- Mis à jour le 20-05-2017 à 18h31
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L'orage s'est invité en tout début de la 24e édition des Nuits Botanique jeudi soir. En Belgique, le soleil, ça se mérite. Après une bien douce et lumineuse journée, des trombes d'eau se sont abattues, notamment sur la toiture des serres du Centre culture Wallonie-Bruxelles qu'il serait grand temps de rénover. Que fait le ministère ? Il se dit qu'un dossier aurait été introduit il y a un bail déjà. Dans les couloirs détrempés, les raclettes sont de mise, remplacées très rapidement par des machines qui aspirent l'eau. Ceci dit, moins d'une heure plus tard, la touffeur des lieux aura vite évaporé les dernières gouttes.
Ce n'est pas la météo qui aura découragé le public de rallier une manifestation que d'aucuns considèrent comme la première d'une longue série de festivals amenés à prendre place tout l'été et où il y a de belles découvertes à faire.
Comme ce soir-là, Clara Luciani, une Française de 24 ans qui ouvre le bal à l'Orangerie. Depuis le début de l'année, la rumeur enfle. Un bataillon de jeunes recrues débarquent en force dans le paysage musical français. Elles se produisent à présent chez nous. Parmi elles, Fishbach (14/5), Cléa Vincent (14/5), Juliette Armanet (18/5) et Clara Luciani, donc. Toutes quatre à l'affiche des Nuits Bota.
Peu de temps avant sa première scène bruxelloise, nous avons rencontré Clara Luciani, une grande et magnifique jeune femme originaire de Marseille au regard noir intense et perçant. Il y a quelques années, elle a réalisé son rêve de provinciale et est montée à Paris, sa guitare sur le dos. Tout en effectuant des petits boulots, elle s'est produite un peu partout pour finalement participer à l'un ou l'autre projet, dont La Femme ou Nouvelle Vague. Raphael, aussi, qu'elle a accompagné sur sa tournée "Somnambules". Elle vient de sortir son premier EP (4 morceaux), "Monstre d'amour". Sur scène, Clara Luciani en impose, avec sa guitare électrique. Elle a le port altier et magnétique est sa présence. Sa voix, qui surgit des profondeurs, peut aussi taquiner les sommets. Son ton n'est pas doucereux. Comme cet album fut un exutoire, on préfère ne pas être à la place de son ex.
Etait-ce une évidence pour vous de vous lancer dans la chanson aujourd'hui ?
Non, ça n'était pas évident et je pense que cela ne l'a jamais été. J'en étais à un stade où, de toute façon, faire de la musique était une nécessité. Je ne me suis même pas posé la question de savoir si cela allait marcher ou pas, être rentable. J'étais dans une position où je me disais : De toute façon, c'est cela ou rien. Cela a simplifié les choses puisque j'ai pris des risques sans m'en rendre compte.
Pourquoi était-ce si crucial ?
C'était vraiment mon remède d'écrire et de chanter. Il y a une phrase d'Otto Dix qui dit : "Tout art est exorcisme". Pour moi, cela s'est tout de suite imposé comme cela. A chaque fois que j'ai eu des coups durs, j'ai écrit des chansons.
Tout le monde ne cite pas Otto Dix dans les entretiens...
J'ai entamé des études d'histoire de l'art. Parfois c'est plus facile de s'exprimer à travers les citations des autres, qui formulent mieux ce que l'on ressent.
Les titres que l'on croise sur votre EP, "Pleure", "Comme toi", "Monstre d'amour", "A crever", ont été écrits après une rupture amoureuse. Cela n'est pas trop dur de continuer à interpréter ces morceaux ?
Oui cela date, mais je trouve toujours de bonnes raisons de pleurer. Quand ce n'est pas à cause d'une rupture, c'est pour autre chose. Malheureusement, c'est un symptôme qui revient. Ce n'est pas évident, surtout sur scène. Parce qu'à chaque fois, comme je le fais avec beaucoup d'intensité, j'ai l'impression de reconvoquer des fantômes. Mais cela m'a fait tellement de bien d'écrire ces chansons. Je ne regrette pas du tout qu'elles soient là et ça me fait du bien aussi de les interpréter. Sur l'album, qui sortira plus tard, il y aura d'autres chansons plus solaires. C'était important pour moi que l'EP sorte, qu'il soit tel quel, très sombre. Je le compare à une cicatrice. Parfois c'est bien de regarder sa cicatrice et de se dire : ah, je me suis remise de ça, même si c'est encore là et que ce n'est pas parfaitement joli, cela rappelle qu'on a vaincu.
Vous avez commencé en anglais puis vous êtes passée au français. Que représente la langue française pour vous ?
Se mettre à nu. Dans mon cas, le fait de chanter en anglais était une espèce de filtre que j'imposais aux gens qui venaient m'écouter. Comme en plus, ce n'est pas une langue que je parle parfaitement, C'était un pis-aller. Il fallait davantage la prendre comme une espèce de langue imaginaire, un dialogue qui n'avait pas vraiment de sens et c'était bien comme ça.
Dans un entretien accordé au magazine français "Les Inrockuptibles", vous avez déclaré : "On met moins ce que l'on est dans un mail que dans une lettre." Qu'entendez-vous par là?
J'ai des souvenirs de mon arrière-grand-mère qui adorait écrire des lettres. Elle rédigeait des brouillons, elle faisait très attention à la façon dont elle articulait tout. Elle avait une écriture ravissante. Je ne sais pas vous, mais moi, je dois envoyer 50 mails par jour. Donc c'est impossible de faire ce travail-là. On se relit moins, on fait un peu n'importe quoi. Forcément, notre personnalité transparaît moins dans des mails que dans des lettres. C'est un format qui me manque. Je trouve cela très très beau les lettres. Il y a cette poète qui s'appelle Marceline Desbordes-Valmore qui a dit "Une chère écriture est un portrait vivant".
C'est-à-dire ?
Pour moi, quand je lis une lettre de ma mère et que je retrouve son écriture, ses mots, c'est comme si elle était à côté de moi. Elle m'écrit à l'occasion de mon anniversaire ou de Noël. Ce sont des choses que je garde précieusement. Quand je relis des courriers de ma grand-mère qui a disparu, j'ai l'impression que c'est une photo encore plus proche de ce qu'elle a été. Encore plus que les photos ou les films.
Où a été tourné le clip "Pleure, Clara, pleure" ? Dans les dunes de Pyla ?
Non. Dans un coin un peu secret, une carrière de sable à Fontainebleau.
> De retour en concert au Brussels Summer Festival le 9 août