Quand l'art rime avec dollars

Selon une étude de l'Unesco portant sur la décennie, le flux de biens culturels dans le monde pesait, en 2002, 60 milliards de dollars (50,7 milliards d'euros), contre 40 en 1994. «On estime que les industries de la création et de la culture occupent désormais 7pc du produit intérieur brut de la planète», écrivent les auteurs en préambule.

Vincent Noce Libération

Selon une étude de l'Unesco portant sur la décennie, le flux de biens culturels dans le monde pesait, en 2002, 60 milliards de dollars (50,7 milliards d'euros), contre 40 en 1994. «On estime que les industries de la création et de la culture occupent désormais 7pc du produit intérieur brut de la planète», écrivent les auteurs en préambule. Depuis 2000, cette production augmenterait de 7pc par an. Ce constat donne l'enjeu de la convention que vient d'adopter l'Unesco, légitimant le principe de «l'exception culturelle» qui rend les Américains furieux de cette entrave au libre-échange. Certes, ceux-ci défendent ainsi bec et ongles leur propre industrie du cinéma, de l'audiovisuel et de la musique. Cependant, le rapport de l'Institut statistique de l'Unesco, basé à Montréal, montre que la dénonciation de «l'hégémonie américaine» pourrait être révisée à l'aune d'une production se diversifiant à mesure qu'elle croît.

Il serait d'abord plus juste de parler de domination anglo-saxonne, le premier exportateur de biens culturels étant le Royaume-Uni, avec 8,5 milliards de dollars (7,2 milliards d'euros), grâce à sa position dans l'édition et le marché de l'art. A 7,6 milliards, les Etats-Unis n'arrivent qu'en deuxième position. Autre élément préoccupant pour eux: la Chine est ainsi devenue, en 2002, le troisième exportateur mondial, à 5,2 milliards.

Nouveaux dragons.

En termes de grands ensembles, ces mouvements sont encore plus sensibles, puisque l'Asie ravit la deuxième place à l'export, dont elle occupe désormais un cinquième. L'Union européenne continue d'accaparer la moitié de ce marché, mais sa part décline. L'Amérique du Nord est reléguée en troisième position, avec 17pc en 2002 - elle représentait 25pc en 1994! On peut ainsi comprendre la férocité américaine par sa peur des nouveaux dragons.

Dans ce commerce, l'imprimé perd sa position dominante, au profit du disque (respectivement 30 et 31pc du marché en 2002). L'audiovisuel est monté à 14pc, via les jeux vidéo. Et les déséquilibres dans l'accès à la culture restent patents. Les pays riches consomment 90pc des biens culturels mondiaux. Dans toute son histoire, l'Afrique a produit 600 films, quand les Etats-Unis en produisent 400 par an et génèrent la moitié des 7,25 milliards d'entrées dans le monde. L'Afrique représente 0,4pc de la production musicale, l'Amérique latine moins de 3,5pc.

Contours flous.

Or, si la culture représente un tel enjeu à nos yeux, c'est fondamentalement en raison de sa valeur symbolique. Dans les échanges mondiaux, elle reste un élément marginal: 1pc tout au plus. Cependant ce chiffre pourrait être trompeur, car l'étude de l'Unesco pèche par les données brutes sur lesquelles elle se fonde, qui proviennent pour l'essentiel des douanes. Elles visent le passage des marchandises, mais le calcul des services culturels, qui va de la scénarisation aux négociations des droits d'auteurs, leur échappe pour l'essentiel.

Autre difficulté: la dissociation, dans ces masses statistiques, entre support et contenu. Même pesant son poids en dollars, la fabrication d'un téléviseur ou d'un disque vierge n'est pas du même ordre que celle d'une série télévisuelle ou d'une chanson. Les contours mêmes de l'art et de la culture restent flous. L'Asie tire son succès des jeux vidéo et des figurines. Est-ce à dire que les nains de jardins en plastique font partie de la culture? D'un état à l'autre, ces notions peuvent changer, entraînant autant de distorsions.

Depuis septembre, l'Unesco a mis cette étude sous le boisseau. La publication d'un rapport se concentrant sur la culture comme marchandise n'a pas dû paraître heureuse en pleine dispute autour d'une convention insistant, elle, sur la valeur patrimoniale et identitaire de la création. Les auteurs de l'étude relèvent eux-mêmes les limites de leur exercice, appelant de leurs voeux «l'identification des biens culturels dans la norme internationale».

Webhttp://www.uis.unesco.org

© La Libre Belgique 2005

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