Fadila Laanan : "Un ministre doit avoir des couilles"

Austérité, ORW, droit de prêt, arts de la scène, Flandre, gratuité : les quatre vérités de la ministre. Elle veut tout revoir à la médiathèque.

Entretien de Guy Duplat
Fadila Laanan : "Un ministre doit avoir des couilles"
©Alexis Haulot

Quelques jours à peine après que la ministre française de la Culture, Aurélie Filippetti, a annoncé qu’elle arrêtait de nombreux "grands travaux culturels", nous avons rencontré Fadila Laanan, qui est depuis huit ans la ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle passe en revue les grands dossiers sur la table.

L’austérité va-t-elle continuer à frapper la culture aussi en 2013 ?

Même si rien n’est décidé formellement, il y a beaucoup de chances qu’on reconduise en 2013, les mesures de 2012. La culture a eu la chance de bénéficier de hausses importantes entre 2004 et 2009, mais depuis, son budget est intégré dans un plan d’économies difficiles, pour tous, et qui vise à assurer l’équilibre budgétaire de la Fédération W-B en 2015. J’ai choisi de préserver l’emploi dans le secteur culturel et la création. Mais cela a impliqué et continuera à impliquer qu’on gèle les infrastructures et investissements et qu’on gèle les subventions en ne les indexant que si c’est obligatoirement prescrit par les textes contractuels. C’est sans doute paradoxal pour une socialiste comme moi qui, par ailleurs, se bat pour le maintien de l’index, mais que voulez-vous, on n’a pas le choix. Cela ne nous empêche pas de travailler à une bonne gouvernance en mettant à plat toutes les conventions (en 2013) et contrats-programmes (en 2014) des arts de la scène pour avoir une vue d’ensemble. Il y a par exemple pléthore de théâtres à Bruxelles (21) et trop peu en Wallonie (7). Il va falloir revoir cela.

On y reviendra, mais déjà le gel de l’index est douloureux. L’ORW, qui inaugure ce week-end à Liège sa nouvelle salle, a déjà dit que la non-indexation et la non-évolution des barèmes salariaux “rendraient impossible le fonctionnement de l’institution”.

Il y a un conflit en cours à l’ORW entre le personnel et la direction. Il va falloir qu’ils puissent s’entendre mais dans le cadre d’une réalité budgétaire. On ne peut indexer la subvention à l’ORW. Et je voudrais qu’on arrête la désinformation sur ce sujet. La Fédération W-B a fait plus que remplir ses obligations à l’égard de l’Opéra. Entre 2009 et 2012, on lui a accordé 3,676 millions de plus que le contrat-programme. Cette année encore, il a reçu 250 000 euros d’extra et doit recevoir 568 000 euros de la Loterie.

Faut-il alors imaginer de fusionner l’orchestre de l’ORW avec celui de l’OPL ?

Je pense - et cela ne vaut pas que pour l’ORW - qu’on n’a pas été assez exhaustif sur le secteur des musiques classiques lors des Etats généraux de la culture. Je voudrais qu’on puisse entamer un débat serein, ouvert, sans tabous (je n’ai ni tabou ni agenda caché), avec tous les acteurs concernés, pour déterminer exactement ce qu’on attend dans ce secteur.

Revenons à votre idée de mettre tout à plat dans le secteur des arts de la scène, un peu comme la ministre flamande de la Culture l’a fait avec le “Kunstendecreet”.

C’est une démarche qui est moins budgétaire que de bonne gouvernance. Je veux la transparence, même si je ne ferai pas comme ma collègue flamande qui a mis sur Internet tous les avis des commissions d’avis, qui peuvent être parfois très violents. Je ne veux plus agir dans ce secteur au cas par cas, au gré des budgets plus ou moins difficiles. Il faut avoir à un moment tout le paysage devant nous et voir ce qui est par exemple en sureffectif ou en sous-effectif, ce qui doit être plus aidé ou moins. Il faut permettre aux commissions d’avis et à la ministre d’avoir alors une vision globale. Je sais que cela sera difficile, qu’il faudra faire des choix douloureux mais il est important qu’un ministre ait des couilles et puisse aller jusqu’au bout. A un moment, j’ai été choquée qu’on m’agresse violemment pour avoir osé dire que parmi les critères à prendre en compte, il y aura l’audience publique. On m’a répondu que c’était scandaleux de vouloir privilégier des "choses populaires". Mais est-ce scandaleux de veiller à rendre autant que possible les spectacles accessibles au plus grand nombre ? Cela peut très bien être des choses pointues que je souhaite être accessibles à un public plus large. Et l’audience ne sera pas, bien sûr, le seul critère. Il faut conserver des opérateurs qui soient des laboratoires de création. Il pourrait y avoir aussi un souci d’équilibre régional. Je sais que notre offre culturelle, aujourd’hui, est liée à des facteurs historiques : la musique est à Liège et le théâtre à Bruxelles. Mais forts de nos travaux sur les assises culturelles du développement régional, il faut déterminer où on a assez d’offres et où il en manque pour pouvoir faire des choix de rééquilibrage le jour où la Fédération aura à nouveau quelques moyens pour investir.

Autre sujet sensible : le droit de prêt. Le ministre Vande Lanotte réclame que les bibliothèques doublent quasiment les droits d’auteur qu’elles doivent payer sur les prêts qu’elles font. Et contrairement à la Flandre ou à la France, la Communauté française ne les aide pas à payer. Elles doivent payer ces droits elles-mêmes et les répercuter sur leurs usagers ! Les droits d’auteur à payer passeraient de 450 000 euros annuels à 800 000 euros, rien que pour les bibliothèques francophones.

Cette obligation européenne de payer les droits d’auteur remonte à 1994 mais la Cour de justice vient de demander de revoir leur mode de calcul pour tenir compte non seulement des prêts effectifs mais aussi de l’offre de livres proposée au prêt. Je soutiens le souci de rémunérer les auteurs tout en plaidant pour un accès maximum à la lecture. Pour l’ensemble des bibliothèques francophones, on a calculé que le surcoût par an et par emprunteur serait de 0,5 à 2 euros. Cela ne me semble pas excessif et on ne peut parler de "tsunami culturel" comme je l’entends parfois. De toute manière, la Fédération W-B ne pourra pas payer à la place des bibliothèques et ne pourra pas payer non plus les arriérés de droits que certaines ont accumulés. Nous payons déjà 14 millions d’euros annuels pour ce secteur. Je soutiens donc la proposition équilibrée de Vanden Lanotte et c’est aux bibliothèques de s’organiser en conséquence.

N’est-il pas paradoxal de dire que ce surcoût n’est pas grave pour l’usager et de plaider en même temps pour un jour de gratuité des musées ? On connaît votre conflit avec Xavier Canonne, directeur du Musée de la photographie à Charleroi. N’est-ce pas un peu démagogique d’imposer cela, en le faisant payer par des musées déjà frappés par l’austérité ?

Xavier Canonne est un excellent et brillant directeur, mais je ne dérogerai en rien à cette règle, inscrite d’ailleurs dans la déclaration de politique générale et qui lie obligatoirement la gratuité, un dimanche par mois, à la reconnaissance et au droit à être subventionné. S’y opposer me semble incroyable. Le musée de Canonne n’est pas le moins bien loti, sa subvention s’est accrue de 60 % ces dernières années. Et cela ne lui coûtera que 13 000 euros par an sur une subvention de 500 000 euros. La gratuité n’est pas un coup dans l’eau, un effet d’aubaine, s’il en fait la promotion efficace. Je veux bien le débat mais pas l’insulte.

Le gel des investissements de projets comme le musée des Beaux-Arts de Tournai ou le futur Musée de la littérature ?

Certes, c’est dur, même si j’ai libéré 150 000 euros pour un appel à architectes pour le musée de Tournai. Mais quand je vois tout ce qui se passe autour de nous, en Italie, aux Pays-Bas, en France, on est encore dans le luxe. Ce n’est pas la catastrophe chez nous.

Il y a un an, vous vous en étiez prise de manière surprenante à l’équilibre linguistique à Bozar, le palais des Beaux-Arts. Ces institutions bicommunautaires bruxelloises répliquant qu’elles sont vraiment bilingues alors que les subsides francophones sont pourtant moindres que ceux de Flandre.

Je me suis calmée et je suis, en plus, rassurée d’avoir ma collègue Laurette Onkelinx comme ministre de tutelle de Bozar. Il est vrai que la situation à Bruxelles est parfois difficile. Il est frustrant pour moi de ne pas pouvoir davantage soutenir des opérateurs aussi importants que Bozar ou le Wiels, qui font un magnifique travail pour nos artistes. Il est frustrant de ne pas pouvoir "suivre" la Flandre qui augmente encore ses subsides à ces institutions. Mais voilà, nos moyens sont limités. J’ai l’espoir maintenant que l’accord de coopération culturelle avec la Flandre, attendu depuis 30 ans, espéré déjà en juin, puisse être bientôt et enfin signé. Les deux ministres-Présidents, Demotte et Peeters, attendent juste encore que le dossier de la fédéralisation du jardin botanique de Meise soit totalement réglé avant de l’annoncer. Mais pour nous, cet accord culturel est prêt (NdlR : il comprendrait trois grands chapitres. 1. Une coopération renforcée entre les administrations et leurs agents, avec échanges de données. 2. L’installation d’une plate-forme de concertation entre les autorités responsables de la culture pour jouer la concertation, en particulier à Bruxelles. 3. Des coopérations plus particulières deviendraient possibles sur la base d’échanges de stages, d’agents de l’administration ou de collaborations à l’international afin de mieux valoriser les artistes dans l’autre communauté). Nous devons collaborer avec la Flandre et avec le fédéral. Je peux vous annoncer que j’ai proposé au ministre Paul Magnette qui m’interrogeait sur mes attentes vis-à-vis d’un futur musée d’Art moderne à Bruxelles, de mettre sur pied une grande exposition d’arts moderne et contemporain qui reprendrait des pièces venues des musées et collections de Flandre, de la Fédération W-B et du musée des Beaux-Arts de Bruxelles, qui ne peut plus les montrer depuis la fermeture de son musée d’Art moderne. Ce serait une exposition itinérante en Belgique, dans les régions et les villes. Ce serait un geste important d’exposer ensemble, communautés et fédéral, notre patrimoine moderne et contemporain.

Une de vos missions est l’accessibilité de tous à la culture.

Oui, je voudrais mettre en place un plan d’éducation culturelle et artistique à l’égard des jeunes. On doit mieux structurer le dispositif actuel à l’encontre des jeunes pour "construire" des usagers culturels futurs. C’est maintenant qu’il faut le faire. Dans ce cadre, je réfléchis à une refondation complète de la Médiathèque (14 centres de prêts et trois discobus). Elle a déjà beaucoup évolué à cause de l’évolution des supports musicaux et cinématographiques. Elle a un énorme patrimoine, une histoire, une expertise. Je voudrais que les centres de la Médiathèque deviennent des points d’informations culturelles qui ne soient plus limités à la musique et au cinéma mais évoquent aussi le théâtre (on pourrait y donner de petites formes théâtrales), les arts plastiques. On y donnerait des concerts, des auteurs viendraient y parler. Ces centres ont le souci de la médiation, ce qui peut leur permettre de créer ces points d’information.

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