La gravissime hérésie de Belfius

Vendre une collection acquise en partie avec l'argent du contribuable est)-ce décent? Face à des œuvres uniques qui pourraient rapporter beaucoup, les avis sont partagés.

La gravissime hérésie de Belfius
©Belga

Le commentaire de Guy DuplatLa décision de la banque Belfius de vendre la partie de sa collection qui comprend des œuvres d’avant 1830 suscite un formidable tollé dans les milieux artistiques. Rappelons que Belfius appartient à l’Etat, qui a hérité de ce patrimoine belge souvent acquis avec de l’argent public. Et ce serait ouvrir une brèche dangereuse que de commencer à vendre des chefs-d’œuvre comme les deux esquisses de Rubens, uniques au monde, un beau Jordaens et un remarquable Jan Brueghel. Jadis, Liège avait suscité un tollé général, y compris à l’étranger quand la ville eut l’idée saugrenue de vendre son Picasso ("La famille Soler") pour combler une partie de son déficit. L’émoi fut tel que la ville dut y renoncer. La ministre flamande de la Culture tentera de faire jouer la règle des "topstukken" pour empêcher la vente à l’étranger des tableaux qui se trouvent à Anvers. Par contre, celles qui sont à Bruxelles ne sont protégées par rien. Il faut soutenir la volonté de Paul Magnette, le ministre de la Politique scientifique, d’obliger les administrateurs de l’Etat au C.A. de Belfius à bloquer cette vente. Mais il faut aller plus loin, s’attaquer à une solution structurelle : placer cette collection de 4500 œuvres dans un Fondation, appartenant à Belfius certes, mais dont les statuts l’obligeraient à maintenir les œuvres en Belgique quoi qu’il arrive. Car le danger est grand. L’Etat n’ayant pas vocation à garder cette banque dans son giron, pourrait bien la vendre un jour à un groupe étranger qui s’empresserait (peut-être) de disperser la collection d’art belge comprenant par exemple de superbes Magritte, auprès d’acheteurs russes, arabes ou chinois. Belgacom a déjà fait cela, en plaçant sa propre collection dans une Fondation belge qui la protège. Il faut amener Belfius à faire de même. Certains disent qu’il vaut mieux vendre pour soutenir l’emploi et l’économie, mais en dehors de la perte réelle d’un patrimoine unique, ce raisonnement est fallacieux. Le Louvre montre, avec le très grand succès de son ouverture à Lens, que les grandes œuvres d’art peuvent être un formidable investissement économique pour toute une région.

"C'est le droit le plus strict pour une entreprise privée de vendre ce qu'elle veut"

L'avis de Roland Duchâtelet, rédacteur en chef d'un jour

La culture n’est pas a priori la spécialité du président du Standard. Mais il s’est prêté néanmoins, bien volontiers à nos questions; la gare de Calatrava à Liège lui apparaît comme une aberration, une gabegie, d’autant plus dit-il, qu’on gèle quand on arrive sur les quais. Nous l’avons interrogé sur la décision de la banque Belfius de vendre une partie de sa collection : "C’est le droit le plus strict pour une entreprise privée de vendre ce qu’elle veut de son patrimoine". Quand on lui objecte que la banque appartient maintenant à l’Etat, son opinion ne change pas : "On a bien besoin d’argent pour combler les déficits de nos budgets publics".

L’objection que ce serait dommage de se priver d’un tel patrimoine qu’on pourrait bien mieux valoriser dans nos musées et créer avec cela de l’activité économique comme on le voit au Louvre Lens, ne le fait pas changer d’avis : "Soyons réalistes. On va aujourd’hui à Paris ou Londres, pour voir l’art, pas chez nous. Il n’existe pas en Belgique une attractivité de nos musées et de notre art. Il y a bien un domaine dans lequel on peut investir et qui est attractif, c’est le lien avec notre histoire. Je vois le grand attrait d’une ville historique comme Bruges. Je trouve qu’on exploite trop peu le site de la bataille de Waterloo. Nous avons une histoire incroyable, avec des sites historiques qu’on peut valoriser. Il ne faut pas attendre une reconnaissance internationale au niveau de notre art mais bien de notre histoire."

Sur le plan personnel, celui qui succède à Luciano D’Onofrio, collectionneur d’art dit-on, répond laconiquement : "J’ai déjà mes murs pleins, pourquoi achèterais-je quelque chose d’autre ?"

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