Charlie Dupont : "En France, on se fait balancer au visage ce qu'est la culture belge"
Le comédien belge l'a prouvé à travers plusieurs cartes blanches, il n'est pas du genre à avoir sa langue dans sa poche. Que pense-t-il de Joëlle Milquet ? La "belgitude" a-t-elle toujours la cote à Paris ? Y a-t-il des coups bas entre acteurs ? Charlie Dupont est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Publié le 15-11-2014 à 11h43
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Le comédien belge l'a prouvé à travers plusieurs cartes blanches, il n'est pas du genre à avoir sa langue dans sa poche. Que pense-t-il de Joëlle Milquet ? La "belgitude" a-t-elle toujours la cote à Paris ? Y a-t-il des coups bas entre acteurs ? Quelles sont ses envies ? Charlie Dupont est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Comment réagissez-vous quand vous apprenez que le budget de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles va probablement baisser de 2 à 3% ?
Je me mêle très peu de cette gestion politique. Je soupçonne Joëlle Milquet de ne pas être totalement demeurée et d'être parvenue à résister, face à vents et marrées, en réduisant la casse en cette période où tous les budgets diminuent. Dès lors, réduire de 2%, est-ce un scandale ou un acte héroïque ? Je ne sais pas. Par contre, défendre la culture belge, ce qui fait notre "belgitude", est un véritable cheval de bataille pour moi.
En cas de manifestation pour réclamer des subsides, on ne vous verra donc pas monter sur les barricades ?
Je défends mes camarades quand le statut d'artiste est en danger. Les artistes les plus "faibles" doivent pouvoir s'exprimer. Mais je ne crois pas assez à la politique pour lui en vouloir de quoi que ce soit. Moi je descendrai dans la rue s'il faut défendre une oeuvre ou un discours. Je trouve par exemple qu'il importe de défendre une culture commune, cette chose entre dEUS et Annie Cordy. Si on interdit aux Flamands de lire Maeterlinck ou aux Bruxellois de voir Delvaux, là je me fâche...
Joëlle Milquet l'affirme : "Je ne suis pas experte en culture". Dès lors, est-ce logique de la placer à ce poste ?
Je déplore que nous n'ayons plus, depuis longtemps, de gens qui veuillent vraiment être à la tête de la Culture. Je regrette qu'on n'ait jamais un ministre qui soit heureux de s'occuper de la Culture. Pour moi, si les ministres pouvaient être de purs technocrates, et non des politiciens, ce serait formidable. Je crois aux passions qui font aboutir les choses. Pour pouvoir bien défendre la culture, il faut de la passion, qui est évidemment différente de la gestion d'un cabinet, d'un portefeuille,... J'attends de voir Joëlle Milquet à l'oeuvre. Là, on sort des années Laanan, qui n'avait pas vraiment de vision. Et, si elle en avait une, elle ne l'a pas fait comprendre...
N'est-ce pas aussi aux artistes de se prendre en mains, afin de ne pas tomber dans une sorte de plainte apathique ?
Si je répète ce que vous dites, je tiens un discours de droite... que je ne veux pas avoir. Bien sûr que je crie haut et fort que la culture doit être soutenue, mais il faut que chacun ait envie, que chacun ait une vision. Il faut donc encourager nos artistes, insister sur le fait que la culture belge existe. Quand on est en France, on se fait balancer au visage ce qu'est la culture belge. La France se cherche à ce niveau-là, elle chancelle. Du coup, elle trouve une cohérence dans notre culture. Mais nous ne le voyons pas de l'intérieur, nous ne percevons pas notre richesse.

Votre carrière se partage entre la France et la Belgique. Remarquez-vous de vraies différences dans la manière de travailler ou dans les mentalités ?
Ces distinctions se perçoivent en creux, quand on nous les fait remarquer. Mais l'autodérision est une caractéristique belge. C'est à la fois une force et une faiblesse. Une force, parce qu'on peut rigoler de sa propre gueule, on se remet en question. Mais c'est là aussi que se trouve la faiblesse : à force de se remettre en question, on n'arrive jamais à être content de nous. "On a fait ce qu'on a pu" : cette fierté de rater est typiquement un défaut wallon, une sorte d'autoflagellation. Mais c'est en train de changer, on l'a vu avec les Diables rouges, qui ont été boudés parce qu'ils ont perdu dès les quarts de finale. On devient un peu des winners. Même en France on se dit que les acteurs belges sont bons.
Cette considération a toujours cours aujourd'hui ? Depuis quelques mois, on ressent un essoufflement de cette "belgitude" en France...
On est passé du côté "mode" à une espèce d'habitude. Mais oui, ça continue : tout ce qui vient de Belgique est bon et il en faut dans les films. Je le ressens aussi.
Existe-t-il une vraie compétition entre acteurs ?
Oui ! Mais on ne s'en rend pas forcément compte tout de suite, parce qu'on ne sait pas toujours qui brigue les mêmes rôles. Et puis, on se dit parfois "ben merde, c'est ce salopiaud qui m'a piqué le rôle" (rires). Comme dans tous les jeux - parce que cette profession est un jeu - ça peut être très rude, âpre, mais il y a énormément de respect. L'aspect le plus pénible, c'est quand tu vois la performance d'un gars choisi à ta place et que tu te dis que tu aurais fait beaucoup mieux.
Dans "Maps to the stars", David Cronenberg (photo ci-dessus) dénonce les coups bas dans le milieu du cinéma. C'est une réalité que vous vivez ?
On n'en est pas au niveau de la compétition hollywoodienne mais, bien entendu, il y a des coups bas... Quand je suis arrivé il y a 20 ans, j'étais dans un état d'esprit "on est tous potes" mais, à un moment, tu te fais tellement avoir, que tu apprends à te méfier. J'ai d'ailleurs eu de la rancune par rapport à certains.
Cette rancune visait-elle des Belges ? La confraternité belge serait plus fragile qu'on ne la présente ?
Cette confraternité concerne la "politique extérieure". En gros, on est tous d'accord pour dire aux Français "nous sommes géniaux" mais, entre nous, nous ne sommes pas plus confraternels que d'autres... Dans le cinéma, mes potes ne sont pas plus belges que français.
Pour percer, il faut connaître du monde, être pistonné ?
Non, ça peut même être contre-productif. Se faire ouvrir des portes peut avoir du bon. Mais les portes qu'on force, on finit par les ramasser dans la gueule.
Faisons un point sur votre carrière. Quels sont les trois moments phares ?
Le moment fondateur se situe lors de mes études de droit, quand j'ai joué ma première pièce, "Capitaine Fracasse". Parmi les acteurs, se trouvait Arnaud Van Schevensteen, dont l'une des caractéristiques est d'avoir été amputé d'une jambe. Après cinq minutes de spectacle, à travers son jeu, il est parvenu à faire complètement oublier qu'il n'avait qu'une jambe. Je me suis alors dit que le théâtre était une solide machine à rêves et que j'en ferais bien ma profession. Un autre moment prégnant de ma vie est antérieur : j'ai 17-18 ans et je me rends compte du pouvoir transfigurateur du rire, de sa capacité à transpercer les drames, à être une arme de défense. Le troisième moment, je le vis actuellement. Je m'étais promis de faire un one-man-show avant 40 ans. Et j'ai l'impression de ne pas m'être menti en faisant finalement un two-man-show avec ma femme Tania. C'est plus compliqué et plus abouti que de faire le malin tout seul.
Y a-t-il des rôles que vous regrettez d'avoir acceptés, refusés ou loupés ?
Oh oui ! Le dernier exemple concerne Jaco Van Dormael (photo ci-dessus), que j'adore. Je vendrais ma maison pour jouer dans un de ses films. Il est venu me voir dans la pièce "Promenade de santé", de Nicolas Bedos. On a joué cent dates, qui ont toutes cartonné. Or, la seule représentation où on a été mauvais, c'est le jour où Jaco Van Dormael est venu. Ce rendez-vous manqué m'a rendu malade ! Mais il n'y a aucun rôle que je regrette. Même les navets dans lesquels j'ai joué m'ont apporté des trucs.
Avez-vous des envies particulières pour la suite de votre carrière ?
J'ai très envie d'Amérique. La série "Hard", dans laquelle je joue, a été rachetée par HBO et est actuellement réécrite. Si mon rôle existe toujours, je pourrais jouer mon personnage en anglais. J'aimerais vraiment ! J'ai aussi très envie de faire un vrai film d'action : un truc onirique à la Tim Burton, comme Batman, ça me plairait vraiment. Certains réalisateurs pourraient me demander ce qu'ils veulent : Terry Gilliam, Leos Carax ou Valérie Lemercier. Je suis fan de ces réalisateurs qui aiment les acteurs.
Entretien : @JonasLegge