Arts de la scène : un décret qui va changer tout le paysage théâtral
Ce mercredi a lieu le vote de l’important décret sur les arts de la scène. Pensé pour être efficace, le texte instaure un timing commun, suscite la transparence et prend en compte la qualité de l’emploi. Lancé par Joëlle Milquet, le décret est pris à bras-le-corps par Alda Greoli et son équipe, qui s’en expliquent.
Publié le 12-10-2016 à 08h42 - Mis à jour le 12-10-2016 à 08h48
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Ce mercredi a lieu le vote de l’important décret sur les arts de la scène. Pensé pour être efficace, le texte instaure un timing commun, suscite la transparence et prend en compte la qualité de l’emploi. Lancé par Joëlle Milquet, le décret est pris à bras-le-corps par Alda Greoli et son équipe, qui s’en expliquent.
Ce décret va changer tout le paysage théâtral
C’est une vraie révolution qui débutera ce mercredi avec le vote au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles du décret sur les arts de la scène. Celui-ci va redessiner à partir du 1er janvier 2018 tout le paysage de notre théâtre, mais aussi de la danse, du cirque, du théâtre jeune public, de la musique classique et non classique et même du conte dans un souci général de "décloisonnement".
Tous les systèmes d’aide divers seront remis à plat et unifiés dans un but de clarté, de bonne gouvernance et d’adaptation au XXIe siècle.
Tous ceux (institutions, compagnies, individus) qui veulent obtenir une aide devront s’y conformer, remplir des formulaires détaillés et standardisés et les soumettre aux diverses commissions d’avis avant le 16 janvier 2017. Celles-ci devront ensuite étudier les demandes et rendre leur verdict (indicatif) pour fin juin 2017. La ministre de la Culture, Alda Greoli, dont ce sera "le" grand dossier de la législature, décidera alors des subsides divers, vers octobre 2017, en fonction aussi de l’enveloppe qu’elle aura obtenue pour son budget 2018. Ce sera alors le moment de vérité où bien des dents grinceront et où des choix douloureux devront être faits. Car les demandes excéderont largement les moyens disponibles.
Tous les nouveaux subsides démarreront ensemble en janvier 2018, quitte à ce que les contrats-programmes soient "ficelés" plus tard dans les détails.
Ce décret trouve son origine dans une "note d’orientation pour une politique théâtrale renouvelée" de 30 pages soumise en juillet 2015 par Joëlle Milquet, alors ministre de la Culture, avec l’ambition "de remettre l’artiste au centre, de réduire les coûts administratifs au profit de l’artistique, d’augmenter l’aide aux projets" .
Elle voulait déjà tout remettre à plat et décider au même moment de toutes les aides comme cela se fait en Flandre, et non plus au cas par cas, comme auparavant.
Expliciter les plans et objectifs
Il a fallu un an de discussions, quatre lectures au gouvernement, deux passages par le Conseil d’Etat et le comité de concertation des arts de la scène pour aboutir à ce texte. Mais celui-ci n’éteint pas la polémique. Michel Kacenelenbogen, directeur du Public, a déjà vivement réagi. Certains jugent le timing "intenable", d’autres incriminent les "flous" du texte. Bref, le sujet restera aussi inflammable qu’important jusqu’en 2018.
Trois types de subsides existeront.
D’abord, les "bourses", la plus petite aide, visant des projets ponctuels. Ensuite les "aides aux projets" (remplaçant à la fois l’ancienne aide aux projets et les conventions, désormais supprimées, au grand dam de certains). Ces aides pourront être octroyées sur un, deux ou trois ans maximum, et les demandeurs doivent remplir un formulaire en sept points.
Enfin, il y aura les contrats-programmes dont la durée passera de quatre à cinq ans (les premiers iront de 2018 à 2022). Il faut, là, remplir un formulaire très complet d’une vingtaine de points avec les objectifs, les politiques d’accompagnement et de promotion, les types d’activités, les technologies numériques, les publics visés, la politique tarifaire, le volume d’audience pressenti, les budgets prévisionnels explicités par types de dépenses (infrastructures, activités artistiques, fonctionnement), le volume d’emploi, les éventuelles mutualisations ou rapprochements avec d’autres opérateurs, les règles de bonne gouvernance appliquées.
Déjà la polémique
On y retrouve, mais implicitement, les souhaits de centrer sur l’artiste, surtout de la Communauté française, de susciter des rapprochements et de tenir compte davantage des audiences. Mais sans quota - un principe que réfute la ministre - ni imposition. Alda Greoli ne veut rien imposer, laissant la liberté aux associations.
Les commissions d’avis et le cabinet de la ministre pourront juger en fonction des objectifs d’une demande si, par exemple, la part de recettes propres est suffisante. La liberté restera de traiter avec d’autres critères un théâtre plus expérimental de création et un théâtre plus "mainstream" ou un théâtre d’accueil ouvert à la programmation internationale ou flamande.
Le décret prévoit une réflexion obligatoire sur la médiation, les publics scolaires, la bonne gouvernance, le respect des lois sociales pour les artistes.
Il était prévu de changer les commissions d’avis mais, faute de temps, ce point est remis à 2018.
La polémique n’est pas close pour autant. Un exemple : comment chiffrer l’emploi artistique de "Cold Blood" de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael où le travail des techniciens est essentiel ? Les commissions qui avaient mis un an et demi pour rendre leurs derniers avis n’auront cette fois que cinq mois pour un travail bien plus grand... Le cabinet de la ministre pense que le défi peut être relevé par une bonne préparation des dossiers et les formulaires unifiés, ainsi qu’un renforcement de l’équipe dévolue à cette tâche (avec un équivalent temps-plein, et potentiellement quelques réaffectations temporaires).
Une autre polémique est née de l’étude commandée par le cabinet, sur notre théâtre, par le bureau Kurt Salmon. L’étude a été maintenue sous le boisseau. On la dit chère, sans grand intérêt et enfonçant des portes ouvertes. Pour le cabinet, cette étude ne devait pas aider à écrire le décret mais peut servir à guider les opérateurs par la suite, et l’étude sera rendue publique.

Tout ne se règle pas par décret
A côté de l’objectivation des critères, de la simplification administrative (avec entre autres des formulaires standardisés), de l’établissement d’un timing commun, le décret sur le secteur des arts de la scène prend en compte "la qualité de l’emploi au sens large", souligne Alda Greoli - soit aussi les métiers dits "techniques".
Dessine-moi un artiste
Dans le secteur global des arts de la scène (à ne pas confondre avec les domaines, désignant les disciplines artistiques, et les six catégories permettant une typologie des opérateurs), on dénombre quelque 30 000 emplois, dont 7 000 à 8 000 titulaires du statut d’artiste. Une notion qui ne se définit en réalité que par l’usage. On est artiste par l’emploi (les prestations) dont on peut se prévaloir. "Le décret ne définit pas l’artiste, car c’est impossible en tant que tel. Personne n’a jamais réussi en 10 000 ans de création", sourit Alda Greoli.
Bien qu’on lui en parle énormément, ce statut n’est pas du ressort de la ministre. Elle n’a pas de prise directe sur ce dossier, mais n’hésite jamais à interpeller ses confrères à ce sujet, et notamment sur "le nécessaire assouplissement de la période de chômage pendant les temps de création, de répétition, par exemple".
Etre fier de nos productions artistiques
Autre point d’intérêt de la ministre bien qu’elle n’ait pas de possibilité directe d’action : "Le manque de fierté à propos de notre création. Trop souvent, on attend une reconnaissance à l’étranger avant de nous dire qu’une œuvre vaut le coup. Mais ça ne se règle pas par décret", concède-t-elle. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la ministre n’a pas de piste pour y remédier.
Prenant l’exemple des enfants entrant en classe maternelle qui, dans leur quasi-totalité, n’ont absolument aucun frein en matière créative, que ce soit dans la conception ou dans la réception, elle veut "trouver comment empêcher que le rapport à la culture et au beau s’amenuise au fil du parcours scolaire". Et pour ce faire multiplie les contacts et initiatives avec Marie-Martine Schyns, la ministre de l’Enseignement.
Un même recul par rapport à tous
En expliquant sa vision politique du secteur des arts de la scène, Alda Greoli insiste sur la distinction, qui lui tient à cœur, entre opérateur et régulateur. "Le rôle du régulateur n’est pas de s’immiscer mais il a le devoir de contrôler." Et en tire les conséquences : "Quand nous énumérons des exemples de pratiques de bonne gouvernance, la liste n’est pas exhaustive, mais nous voulons que de telles mesures existent dans chaque structure, qu’on nous explique quels sont les rapports entre le directeur et le conseil d’administration, comment on procède aux nominations, etc." Mais encore : "Cette distinction claire pose aussi la question de l’implication de certaines autorités publiques au sein des CA de certains opérateurs. Régler cette question est important pour permettre au régulateur d’avoir le même recul par rapport à tout le monde."
Or, cela non plus, ça ne se décrète pas.