Tax shelter: les professionnels du cinéma et de la scène, les oubliés du projet de loi Corona ?
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Publié le 28-04-2020 à 13h54 - Mis à jour le 05-05-2020 à 16h02
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Oubli ? Problème technique ? De délai ? Les mesures proposés sont pourtant neutres pour les finances de l'Etat. Les professionnels du cinéma et des arts de la scène s’interrogent et espèrent des réponses en Commission finances à la Chambre ce mardi après-midi.
Nous l’écrivions la semaine dernière : des mesures d’urgence s’imposent pour soutenir la reprise d’activité du cinéma belge et des arts de la scène. Appliquant leur propre version de “L’Union fait la force”, les associations professionnelles des deux secteurs et des deux côtés de la frontière linguistique se sont entendus sur des demandes conjointes soumises au groupe de travail PME et Indépendants de l’Economic Risk Management Group (ERMG) mis en place par le gouvernement fédéral.
Leur note d’avis insiste notamment sur l’impact de la crise sur le mécanisme de financement du tax shelter, crucial pour les deux domaines. “Les moyens de financements “Tax Shelter” attendus devraient vraisemblablement diminuer fortement suite à l’impact sur les résultats de la plupart des sociétés belges qui contribuent habituellement à ce financement” précise la note. “À défaut de trouver des financements, ces projets se retrouveront annulés faute de lever les fonds nécessaires. De nombreux producteurs se retrouveront dans une situation très délicate avec un risque de faillite à la clé.”
Le mécanisme du tax shelter en lui-même n’est pas en danger ou devenu risqué pour les investisseurs. “On continue à lever des fonds et cela se fait sur des projets sécurisés” précise Sibylle Smets, administratrice et responsable des productions chez Taxshelter.be (ING).” Et pour ceux qui en conservent les moyens, ça fait du sens de contribuer de cette manière à soutenir des secteurs les plus à risque du pays.” Avec, toujours, le gain fiscal sur le montant investi.
Mais le risque engendré par la crise implique un assouplissement provisoire du mécanisme, afin de garantir des levées de fonds suffisantes pour accompagner la reprise des productions audiovisuelles ou théâtrales.
Consensus puis omission
Jusqu’à vendredi, le message semblait être passé. “Il semblait y avoir un large consensus aussi bien avec les experts que le politique vendredi”, nous explique Sibylle Smets. “Nous étions arrivés à un compromis satisfaisant” ajoute Jean-Yves Roubin, président de l’Union des producteurs de films francophones, qui a oeuvré avec ses homologues flamands, Pro Spere (le pôle auteur), l'Association des Réalisateurs et Réalisatrices Francophones (ARRF) et l' Association des Scénaristes (ASA). Pierre Hermant, qui préside le groupe de travail, insiste sur le caractère constructif et “non manichéen” des échanges entre les professionnels et son groupe de travail de 35 experts représentants banques, syndicats, administrations et Régions... Il estime que tous les intervenants ont fait preuve de “sens de l’Etat”.
Deux des quatre mesures soumises ont été retenues par le groupe de l’ERMG. D’une part, doubler le plafond absolu d’exonération autorisée des entreprises (jusqu’à deux millions d’euros). Ce qui permet aux grosses entreprises de contribuer davantage aux différents projets à financer. Selon les estimations du secteur, cela pourrait compenser un tiers de la chute des investissements. Deuxième mesure : Élargir l’antériorité des dépenses éligibles à six ou douze mois pour l’audiovisuel et les arts de la scène. Cette mesure doit permettre de couvrir les frais engagés dès le déconfinement sans attendre nécessairement que tous les fonds soient levés.
“Dans les 138 pages du projet de loi Corona, (NdlR : officiellement "loi portant diverses mesures fiscales urgentes en raison de la pandémie du COVID-19") il ne reste que la mesure d’extension du délai d’éligibilité des dépenses de six mois qui avait été annoncée dès le début de la crise.” Où sont passées les deux mesures, se demandent les différents intervenants ? “Depuis on a appris, qu’il y aurait un projet d’amendement où il serait question de l’antériorité de six mois, précise Sibylle Smets. Mais aucune nouvelle de la mesure sur l’augmentation de la capacité d’investissement”.
Neutre pour les finances de l'Etat
Les professionnels s’expliquent d’autant moins la disparition des deux mesures que celles-ci sont une opération neutre pour les finances de l’État : “On ne demande pas de sortie de cash, contrairement à d’autres secteurs” argumente Sibylle Smets. “Une des deux mesures (allongement du délai d’éligibilité des dépenses NdlR) ne coûte rien et l’autre (augmentation de l’investissement) génère au final des recettes fiscales supplémentaires.”
Au-delà de l’inquiétude, il y a une vraie incompréhension, ajoutent encore nos interlocuteurs : “ces mesures ont été largement discutées, débattues et approuvées par les experts appointés par le gouvernement et les représentants des associations professionnelles des secteurs audiovisuels et arts de la scène ainsi que des principales sociétés de levée de fonds tax shelter”.
"La note d’avis a fait l’objet d’un subtil compromis mais pas du plus petit dénominateur commun” précise Pierre Hermant, qui assure avoir “des échos comme quoi c’est en discussion” - sans connaître l’évolution de celle-ci. “Nos recommandations, nous les remettons au politique. Ce n’est pas nous qui décidons. On est conscient de notre rôle et des limites de celui-ci.” Le président du groupe de travail estime toutefois que “les demandes des deux secteurs sont légitimes”. “Ils ne demandent pas plus que ce qu’ils avaient avant la crise mais des aménagements pour accompagner leur reprise.” Mais, en fin connaisseur, il concède que “le politique doit évaluer ces recommandations dans une réflexion plus complexe”.
Cataclysme
Pour les arts de la scène, “ces mesures sont particulièrement importantes” nous dit Benoît Roland, administrateur de la COOP, société de production de spectacles réunissant 70 producteurs. “Sans la rétroactivité des dépenses, on condamne d’office tous les spectacles de la demi-saison 2020-2021 dont les budgets étaient déjà négociés. Car la levée de fonds de juin n’aura pas lieu. On ne pourra faire la suivante qu’en décembre. Cela représente quelque 60 spectacles.”
“Les enjeux sont colossaux au niveau de l’emploi des sociétés des secteurs et des prestataires” nous dit Jean-Yves Roubin. “Si ces deux mesures ne passent pas” juge le producteur, "c’est un cataclysme : le secteur s’arrête”.
Malgré trois questions en Commission Finances de la Chambre, mardi après-midi, le ministre des Finances Alexander De Croo (Open VLD) n'a donné aucune garantie que la mesure essentielle de doubler le plafond absolu d’exonération serait validée. Au grand désarroi des professionnels.