Yves Coppieters : "Les salles de spectacle auraient pu rouvrir dès janvier"
Pour Yves Coppieters, épidémiologiste à l’ULB, il y a une injustice.
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Publié le 13-03-2021 à 09h38
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Le 13 mars 2020. Cette date marquera la Belgique au fer rouge. Emporté dans le tourbillon de la pandémie de Covid-19, notre pays est mis, face à l’urgence, totalement à l’arrêt. Un an plus tard, des pans entiers de la société n’ont toujours par repris, ou à coups de légers sursauts. Parmi eux : la culture. Alors que le secteur se mobilise de toutes parts ce samedi à l’occasion de la 4e édition de #StillStandingForCulture (lire pp. 52-53) pour réclamer une réouverture viable, Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur de santé publique à l’ULB, décrypte pour La Libre une année de confinement de la culture.
Il y a tout juste un an, pouvait-on s’imaginer que, ce 13 mars 2021, des secteurs d’activité tels que l’Horeca, la culture ou l’événementiel seraient toujours portes closes ?
Non, bien sûr, ce n’était pas du tout prévisible. D’ailleurs, ce n’est pas ce que les premières estimations montraient. C’est-à-dire qu’à la fin de la première vague une série d’experts étaient persuadés que soit le virus allait naturellement disparaître pour toute une série de raisons environnementales, ce qui n’a pas été le cas, soit il allait rester dans un bas seuil de circulation, ce qu’on appelle un niveau endémique, à savoir un niveau qui devait être chaque fois maîtrisé en cas de remontée des transmissions, en hiver notamment. Par contre, on était sûrs que la stratégie du testing-tracing-isolement allait fonctionner pour empêcher les soubresauts et, alors, ne même pas envisager une deuxième vague. Donc, jusqu’au mois de juillet 2020, ce n’était pas exclu que des mariages, des concerts, etc., puissent recommencer. Après, malheureusement…
Alors que la Belgique a amorcé son premier déconfinement en mai 2020, le mot "culture" n’a été prononcé que lors du Conseil national de sécurité (CNS) du 3 juin. Pour beaucoup de travailleurs du secteur, les autorités politiques et scientifiques les ont oubliés, preuve d’une profonde méconnaissance des réalités de leur métier.
Les décisions n’ont été que fonction d’une vision épidémiologique de la pandémie, avec cette notion de groupe, de foule, de situation à risque, etc. La culture n’a donc pas été disséquée dans ses différentes composantes ; elle a été soumise à une vision très rationnelle de la gestion des transmissions. C’est comme cela que les cinémas ou quelques salles ont pu rouvrir, moyennant des protocoles sanitaires stricts, mais qui n’étaient pas le reflet de la diversité de la culture. Et, à l’heure actuelle, ce n’est pas cela non plus qui guide les décisions du GEMS (Groupe d’experts de stratégie de crise pour le Covid-19).
L’été 2020 a permis une timide reprise de la culture, soumise à des protocoles très rigoureux (une rangée sur deux, entrées et sorties distinctes, etc.). En revanche, les avions étaient bondés de vacanciers. Et, aujourd’hui, cette dichotomie demeure puisque les salles de spectacle sont fermées et les transports en commun, souvent archipleins. Qu’est-ce qui justifie une telle différence de traitement ?
Rien ne le justifie sur un plan scientifique. Le bus ou le métro rempli est nettement plus à risque que la salle de théâtre ou de cinéma dans laquelle les protocoles sont appliqués. Par contre, l’avion n’est pas plus à risque parce qu’il a un système de ventilation particulier. Quoi qu’il en soit, c’est clair que le niveau de risque de toute une série d’activités qu’on a maintenues était plus fort que celui de toute une série d’activités qu’on a fermées, dont, malheureusement, la culture. En tout cas, les lieux de culture où pouvaient être appliqués ces protocoles assez rigoureux. C’est ce qui est tout à fait inacceptable à l’heure actuelle ! Fondamentalement, ces lieux qui avaient montré leur capacité à appliquer ces protocoles stricts auraient pu rouvrir dès janvier, dès qu’on avait compris qu’on était bloqués dans un plateau des contaminations puisque ce n’étaient pas ces lieux qui allaient être les nouveaux moteurs d’une réactivation de l’épidémie. Et cela, on le sait : des études internationales ont montré que des lieux de culture de ce type-là n’étaient pas des lieux de transmission. Donc, là, il y a une injustice.
David Murgia l’expliquait dans nos colonnes : la gestion de la crise est guidée par des choix politiques, privilégiant l’économie. Experts et politiques ont tardé à prendre en compte le bien-être mental de la population.
Les mondes scientifique et politique ont sous-estimé l’importance des différents types de culture (même si les musées ont rouvert assez vite). Ils ont sous-évalué le rôle majeur que la culture aurait pu jouer en tant que moteur de motivation, c’est-à-dire donner de l’espoir et du courage aux gens pour continuer à tout prix à respecter les gestes barrières, le télétravail…
Privés de culture depuis de nombreux mois, les spectateurs retourneront-ils dans les salles de spectacle et de cinéma ? C’est l’une des questions qui taraudent le secteur.
Ce problème ne va pas se poser que pour la culture, mais pour la reprise des activités en général. On nous a imposé un tel principe de précaution - Attention ! Toute personne autour de soi est potentiellement contaminante. Il faut respecter les gestes barrières, les distances de sécurité, etc. - qui est ancré dans nos comportements depuis un an que le retour à une vie quasi normale va s’opérer très lentement parce qu’on va garder toute une série de comportements de protection et de crainte. En ce qui concerne la culture, je ne suis pas sûr, toutefois, que la perception d’un danger potentiel l’emporte sur la nécessité de revenir en salle de spectacle. À voir. Je pense que ce sera très générationnel aussi.
Alexander De Croo a annoncé un "Plan plein air" en vue d’un déconfinement progressif. Mais quand pourrons-nous, enfin, retourner au théâtre, au cinéma, à l’opéra, au concert… sans devoir porter un masque, se tenir à distance, etc. ?
Ça dépend de la vaccination et de l’évolution des variants. Si, à l’échelle belge puis européenne et mondiale, on est capable de vacciner vite et d’atteindre la couverture de 70-80 %, alors il n’y a aucune raison de s’imaginer encore avec des masques dans les salles de cinéma. Mais, si des variants re-circulent et que l’efficacité vaccinale se révèle un peu plus faible pour certaines souches, alors, on nous préconisera de réappliquer les gestes barrières à certains moments. Ce sera donc plutôt périodique.