Producteur-diffuseur en arts de la scène, une profession de foi
Producteurs et diffuseurs en arts de la scène défendent la nécessité d’accéder au statut de travailleur des arts.
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Publié le 30-01-2022 à 18h51 - Mis à jour le 30-01-2022 à 18h52
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Il suffit de les écouter quelques instants pour saisir à quel point Dorine Voglaire et Pierre Ronti, tous deux producteurs et diffuseurs en arts de la scène, sont investis et passionnés. Et ce, quand bien même la crise sanitaire les a durement affectés. Une crise éreintante qui a, plus que jamais, exacerbé la précarité socio-économique de nombreux artistes, techniciens et profils de soutien à la création artistique et mis en lumière l’extrême nécessité de créer un véritable dispositif de protection sociale des travailleurs culturels. Le gouvernement fédéral s’est donc retroussé les manches pour engager une réforme en profondeur du “statut d’artiste”, dénomination qui désigne actuellement le régime spécial d’allocations de chômage conditionné à la pratique d’un métier artistique.
Pilotée par les ministres fédéraux Dermagne (PS, Travail), Vandenbroucke (Vooruit, Affaires sociales) et Clarinval (MR, Indépendants), cette réforme ambitieuse a été lancée au printemps dernier avec la consultation du secteur culturel – c’est le projet “Working in the arts” (Wita) – appelé à témoigner des réalités du terrain. Dans un premier temps, ce sont les thèmes du chômage, du fonctionnement de la future “Commission du travail des arts” (qui, à l’avenir, sera l’organe habilité à délivrer une “attestation du travail des arts”) et du régime des petites indemnités qui ont été débattus.
Une note a été rédigée à l’issue de cette première phase et soumise, notamment, à l’avis du Conseil national du travail (CNT). Depuis, le processus de refonte poursuit son cours : les cabinets Vandenbroucke et Dermagne planchent sur les premiers textes juridiques tandis que devrait être initiée une deuxième phase de consultation Wita sur les pensions, les droits d’auteur…
Quel est le périmètre des métiers culturels ?
Constituée en pleine tempête pandémique "en réponse à l'impact de la crise Covid sur le secteur culturel, artistique et événementiel", l'Union de professionnels des arts et de la création – pôle travailleur (Upac-t) est l'un des principaux interlocuteurs du gouvernement dans le cadre de la révision du "statut d'artiste". À ce titre, c'est elle qui défend et représente Prodiff, collectif des métiers de production et de diffusion en arts de la scène qui s'est également formé pendant la crise. Réunissant une vingtaine de bureaux de production et diffusion ainsi que des praticiens qui travaillent de façon indépendante, Prodiff compte, au total, une cinquantaine de professionnels en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ensemble, ils collaborent avec 168 compagnies et œuvrent à la production et diffusion de 274 projets.
Alors que le processus de réforme est enclenché depuis plusieurs mois, l’une des pierres angulaires est de définir le périmètre des métiers culturels et artistiques, c’est-à-dire quels seront les travailleurs des arts (artistes, techniciens et métiers de soutien) qui pourront se voir délivrer le précieux sésame, et, par conséquent, quel sera l’impact budgétaire sur les finances publiques. Plusieurs voix (CNT, représentants des employeurs…) se sont inquiétées de l’extension du “statut” aux activités d’accompagnement pointant un risque d’ubérisation.
Cette crainte, Prodiff tient à l'apaiser. "Au sein de notre collectif, nous sommes majoritairement des producteurs et diffuseurs détachés, expliquent Dorine Voglaire et Pierre Ronti, c'est-à-dire que nous avons au moins deux spectacles qui viennent de compagnies différentes, avec une volonté de choix et des critères définis par chaque organisation". En vertu de cette spécificité, "nous fonctionnons vraiment dans la même précarité que les artistes", insiste Dorine Voglaire. "Si un spectacle marche, on a budget qui entre dans le projet. Mais si le spectacle ne prend pas, ce sont des heures et des heures de travail qui ne seront ni rémunérées ni reconnues." Et d'ajouter : "Par rapport à la crise, nous avons vécu les mêmes problèmes de reports, d'annulations, etc. que les artistes, avec une surcharge administrative énorme. Ça a été très difficile psychologiquement. Et ce n'est pas fini…"Financièrement, "on est moins payé que les artistes, poursuit-elle.Par exemple, on n'est pas payé pendant les répétitions. Pour le moment, on ne fonctionne que grâce aux rentrées des compagnies. On est payé à la représentation et, en fonction des compagnies qui ont plus ou moins de moyens, on négocie un cachet de base – mais qui est rare et souvent maigre – pour commencer à travailler".
Travailleurs de l'ombre, les producteurs et diffuseurs en arts de la scène sont des maillons essentiels à la création artistique et au rayonnement des compagnies. Découverte des spectacles proposés; échanges de vue sur les projets avec de "vraix choix artistiques"; recherche de financements, de co-producteurs, de résidences...; montage des dossiers; organisation des tournées; prise de contacts; négociation de contrats de cession; gestion des agendas de tournée..., le producteur-diffuseur accompagne les projets des compagnies dès leurs prémices. "La particularité du Prodiff collectif, de par son autonomie et son indépendance dans le choix des spectacles, c'est que l'ont peut accompagner des artistes émergents, se félicite Dorine Voglaire. Mais nous sommes vraiment trop peu nombreux". "En moyenne, je refuse une compagnie par semaine. Donc, il y a une vraie pénurie", confirme Pierre Ronti.
“90 % démissionnent après deux ans”
Une pénurie imputable à la précarité de ce métier, elle-même induite par l'inégibilité des producteurs et diffuseurs en arts de la scène au "statut d'artiste". "Pour avoir, en tant que producteur-diffuseur, un réseau optimal (carnet d'adresse, lieux de tournée...), il faut plus ou moins compter cinq ans", relève Dorine Voglaire. Or, "90 % démissionnent après deux, trois ans, complète Pierre Ronti. Il faut vraiment avoir la foi et des nerfs en acier, car c'est un métier très stressant". Et la crise sanitaire n'a rien arrangé. "En jeune public, le cycle économique est fort basé sur la diffusion, reprend-il. Avant le Covid, on était à 80-100 dates par saison. Aujourd'hui, 30-40 dates, c'est déjà un gros succès".
L'accès au statut de travailleur des arts s'avère donc plus que jamais crucial pour nombre de producteurs-diffuseurs. "Cela nous permettrait de sortir de la précarité – et, partant, de réduire la pénurie –, mais aussi de sortir de la marchandisation qui, jusqu'il y a peu, était inhérente à nos métiers. Nous ne sommes pas des vendeurs, mais des accompagnateurs de projets : quand on soutient un projet, on prend les mêmes risques que les compagnies", défend Pierre Ronti. Enfin, "cela permettrait de reconnaître nos métiers" et, financièrement, confie Dorine Voglaire, "de pouvoir nous en sortir les mois où il n'y a pas de prestation, de ne pas avoir peur, même d'une nouvelle crise".