Sophie Lauwers : "Bozar doit trouver une nouvelle cohérence d’ensemble"
Pour la première fois depuis sa nomination, Sophie Lauwers, la nouvelle directrice générale de Bozar, s’explique. Elle veut, en concertation, une nouvelle cohérence à Bozar pour affronter le futur sans renier le riche passé d’un Palais centenaire.
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- Publié le 04-02-2022 à 18h24
- Mis à jour le 08-06-2022 à 21h36
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Le hasard se montre significatif : deux jours après une première rencontre avec Kasia Redzisz, directrice artistique de Kanal ( La Libre de ce jeudi), le plus gros projet culturel belge en construction, voilà une première rencontre avec une autre femme, Sophie Lauwers, nommée en octobre dernier à la tête du Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, la plus ancienne et plus grande institution culturelle belge qui fêtera ses cent ans le 4 avril. À Bozar, c'est même une équipe de femmes qui mènent le navire, avec Isabelle Mazzara nouvelle présidente du Conseil d'administration, Sophie Wilmès comme ministre de tutelle, et Christine Perpette, venue de Belfius et nommée par arrêté royal à l'important poste de directrice financière.
Cela fait partie d'un rééquilibrage naturel, nécessaire et mondial, quand, comme le rappelle Sophie Lauwers, on voit Frances Morris à la tête de la Tate Modern et Laurence des Cars diriger le Louvre.
Ce n’est pas parce qu’elle est femme que Sophie Lauwers a été choisie, mais pour ses qualités unanimement soulignées lors de sa nomination et rappelées aussi par les artistes qu’elle a côtoyés depuis vingt ans qu’elle travaille à Bozar dans le département des expositions qu’elle a dirigé près de dix ans. Sa dernière exposition, celle consacrée à David Hockney, s’est terminée sur une affluence record malgré le covid, de 165 000 visiteurs, montrant son savoir-faire.
On loue aussi sa manière de chercher le dialogue, le consensus nécessaire pour ramener la sérénité dans une maison qui a formidablement évolué en vingt ans avec Paul Dujardin, mais fut fort secouée ces dernières années.
Pourquoi avez-vous posé votre candidature ?
J'étais bien où j'étais, diriger les expos à Bozar est un job magnifique. Mais les choses bougeaient, Paul Dujardin était vraiment parti. En interne, des gens me disaient que j'étais la seule à pouvoir postuler. Les contacts internationaux que je sollicitais pour trouver des candidats à la succession de Paul, me suggéraient : "Pourquoi pas toi" . J'ai alors posé ma candidature pour ne pas avoir plus tard de regrets, même si je n'étais pas choisie. J'ai rédigé pendant deux longues soirées un projet que je n'ai toujours pas rendu public, car je veux qu'il soit porté par tout le monde. Depuis ma nomination, et avec l'aval du CA qui me soutient dans ce processus, je fais le tour des équipes et c'est super intéressant de les écouter. Après ce processus participatif en cours, je vais adapter certains accents de mon projet.
Le travail fait depuis vingt ans à Bozar est phénoménal, mais ne faisait-on pas trop ? Le personnel semblait à bout.
Le type de management va changer. Je veux avoir un projet que je ne porterai pas toute seule. Je suis ravie d’avoir à mes côtés Albert Wastiaux, directeur des opérations, Christine Perpette pour le financier et d’autres personnes qui ont une expertise sur laquelle je peux m’appuyer.
On va fêter les cent ans du Palais des Beaux-Arts. Je me plonge dans son histoire si riche, son ADN si puissant, et, en même temps, il faut pouvoir lâcher un peu de cet héritage, car choisir peut donner une liberté nécessaire. Il est difficile avec un tel passé de se réinventer. Mon but n’est pas de jeter ce qu’on a, mais on peut obtenir une plus grande cohérence. On est tellement multidisciplinaire, avec même des sous-disciplines dans chaque discipline, qu’il faut chercher la cohérence sans perdre tous nos acquis. Il y a beaucoup de satellites importants qui ont été créés autour de la programmation artistique, mais qui rendent floue l’image centrale. Il faut, avec un œil frais, mieux intégrer cela dans une image globale cohérente.
Il faut préparer le futur...
Un des points importants de ma note porte sur l’imagination. Faire imaginer. Si on ne peut pas réimaginer le monde autrement, alors on ne doit pas avoir d’artistes. On vit une période extrêmement difficile au niveau mondial. Il faut créer des éclaircies, amener une poésie qui peut aider à penser le monde, même si on sait que l’art ne changera pas seul le monde. C’est pourquoi ce centenaire qui sera fêté par une exposition, un événement cinéma et musique sur Henri Stock et un grand symposium qu’on organisera, sera un moment important pour entrer dans le futur. Ce sera un croisement entre ce qu’on connaît et ce qui nous attend. Bruxelles aussi est en pleine mutation. Il y a l’émergence de Kanal, les grands travaux au musée des Beaux-Arts qui fermeront ses salles ; son directeur Michel Draguet m’a déjà contactée pour qu’on collabore. Le Cinquantenaire aussi va considérablement bouger. Il y a vingt ans, on avait le "royaume" pour nous tout seuls. Aujourd’hui, il faut coopérer et œuvrer à ce que Bozar reste un lieu où l’artiste reste au centre, mais, en même temps, le public doit l’être aussi. Un lieu qui, comme beaucoup de choses qui se font à Bruxelles, est de plus en plus observé avec intérêt par l’étranger. Dans ce cadre du futur et d’un vent nouveau nécessaire, je cherche aussi un nouveau responsable pour les expositions capable de mener une équipe et un autre pour la direction communication et marketing.
Comme voyez-vous Bozar dans six ans, terme de votre mandat ?
Pour l’instant, cela va pour le budget malgré l’impact du covid et grâce à une gestion financière rigoureuse. Pour une institution comme la nôtre, la bonne gouvernance et la santé financière sont essentielles. Pour 2028, j’imaginais que cette institution devienne un "corps d’ensemble, dans sa totalité", qu’il y règne une vraie générosité envers les artistes, le public et entre les gens, qu’on pourra programmer au mieux indépendamment de l’argent.

Passionnée par les artistes
Sophie Lauwers est née à Halle près de Bruxelles, en 1966. Dans un univers bien loin de Bozar et de l’art, avec un père pâtissier, même si son oncle et son grand-père peignaient.
Après ses humanités, elle ne sait pas quoi faire ( "ma vocation a mis du temps à fleurir" ) et s'inscrit en droit à la VUB, mais cela ne la satisfait pas et, pour gagner sa vie, elle entre dans la publicité comme assistante directeur créatif, art buyer . Elle commence surtout à fréquenter les artistes. Lili Dujourie lui demande de l'aider à gérer ses archives, elle vit quelques années avec l'artiste Jan Vercruysse. En parallèle, dans les années 90, elle suit des cours à la VUB en Histoire, elle collabore avec la commissaire d'exposition Barbara Vanderlinden qui la sollicite pour Roomade et elle rencontre le critique et commissaire Hans Ulrich Obrist… Elle devient project manager à Bruxelles 2000 pour une grande exposition qui, déjà, évoquait notre avenir digital devenu réalité.
À côté des bureaux de Bruxelles 2000, à la rue de l'Écuyer, il y avait la banque Artesia (future Dexia) qui cherchait quelqu'un pour des expos temporaires autour de son importante collection d'art. "J'avais un rendez-vous pour cette place, j'y étais, mais personne n'est venu, et, le lendemain, je recevais un coup de téléphone de Piet Coessens, responsable alors des expos au Palais des Beaux-Arts, et j'y suis entrée. J'y ai rencontré Paul Dujardin qui venait d'être nommé à la tête de l'institution et j'y suis toujours."
Au moment où elle arrivait au Palais des Beaux-Arts, était publiée une pétition signée de nombreux artistes contemporains belges (Marthe Wéry, Sven Augustijnen, etc.) qui mettait en garde contre un Palais des Beaux-Arts qui deviendrait trop commercial dans ses expositions. L’avenir a montré qu’il n’en fut rien et que Paul Dujardin et Sophie Lauwers ont toujours su combiner les expositions et les publics, du plus pointu au plus rassembleur.
Le cancer a changé sa vie
En vingt ans, les artistes et le monde culturel ont appris à connaître cette femme brillante, toujours élégante, mère de deux enfants (20 et 24 ans aujourd’hui), discrète et efficace, évitant les déclarations fracassantes, capable de trouver des consensus, de travailler en équipe, de s’appuyer sur les responsables des autres départements de Bozar, tout en avançant dans la ligne qu’elle s’est choisie. Si son parcours est dans les expositions, on l’a souvent vue aux autres activités de Bozar ou à des concerts jusqu’au Festival des Crêtes près de Sienne. Elle vient par exemple d’être éblouie par les concerts d’Hilary Hahn.
Sa fonction de directrice des expositions n’étant pas compatible avec sa nouvelle fonction, elle cherche un remplaçant à ce poste.
Si elle doit continuer à se battre contre les suites d'un cancer du sein qui s'est déclaré il y a quinze ans, elle y voit paradoxalement une chance. "Il y a eu un avant et un après. J'étais plutôt timide, peu sûre. Ce diagnostic m'a complètement changée, j'y vois même un cadeau de la vie, un réveil à la vie qui m'a fait comprendre : qu'est-ce qu'on a à perdre à dire ce qu'on veut dire ? Il n'y a qu'une vie. Cela m'a donné une liberté et une force énormes. Dans toutes ces expositions qu'on a montées et qu'on disait parfois impossibles tant les obstacles étaient nombreux, je me disais : 'quelle importance ont ces obstacles ?' et je réussissais, soutenue par Paul Dujardin. On est souvent trop occupé à plein de choses sans réelle importance. Ce cancer m'a aidé à relativiser les choses. "