“La réforme du statut d’artiste est devenue une créature de Frankenstein”
En analysant les textes légaux, l’Upact dénonce “une régression sociale” dans la protection des artistes.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/773f294d-56c4-4d07-acee-8ef7063dead9.png)
Publié le 27-05-2022 à 16h40 - Mis à jour le 27-05-2022 à 16h41
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/DZFN356ITRF33IS2YWNRNSHCLA.jpg)
Il y a moins d'un mois, l'Upact (Union de professionnels des arts et de la création – pôle travailleur) (1)se félicitait dans nos colonnes : les ministres Frank Vandenbroucke (Affaires sociales, Vooruit), Pierre-Yves Dermagne (Travail, PS) et David Clarinval (Indépendants, MR) venaient de s'accorder en intercabinets sur la réforme du "statut d'artiste", lequel, "s'il est voté définitivement en l'état", soulignait l'Upact, ferait de la Belgique l'un des rares pays européens à pouvoir "se targuer d'avoir un statut aussi protecteur et intéressant pour les travailleurs des arts".
En cette fin mai, l'heure n'est, pourtant, plus du tout à la réjouissance, mais bien à la désillusion et la consternation. La raison ? Depuis la sortie du ministre Dermagne dans la presse, les textes légaux ont été rendus publics. Et à leur analyse approfondie, il s'avère que "la réforme du statut d'artiste, présenté comme l'un des statuts les plus progressistes et les plus avantageux d'Europe pour les travailleurs des arts, est, en fait, devenue une véritable créature de Frankenstein et de régression sociale", se désole Pierre Ronti, membre de Prodiff, collectif des métiers de production et de diffusion en arts de la scène représenté au sein de l'Upact. "En fait, toutes les avancées qui existent d'un côté sont complètement contrebalancées d'un autre côté par l'introduction de modifications ou de nouvelles mesures qui ne figuraient pas dans la note Wita(nom donné au projet de réforme du statut d'artiste, NdlR), et, partant, sur lesquelles nous n'avons pas été consultés", ajoute Thibaut Delmotte, comédien de doublage et représentant de l'UAS (Union des artistes du spectacle), également membre de l'Upact. Voici pourquoi, "en l'état, la note Wita, qui est devenue une créature monstrueuse par rapport aux objectifs poursuivis, l'Upact ne la cautionne pas, ne la soutient pas tant qu'il n'y a pas une révision complète", assure Pierre Ronti.
La note Wita, fruit d’1,5 an de travail
Pour comprendre cette prise de position, il faut revenir aux prémices du processus de refonte de la protection sociale des travailleurs des arts.
Longtemps embourbée dans les complexités institutionnelles – et partant budgétaires – de la Belgique, la création d'un véritable statut d'artiste a pris un coup d'accélérateur à l'aune de la crise sanitaire, laquelle a mis en lumière la grande précarité socio-économique des travailleurs du secteur culturel. À l'automne 2020, le gouvernement fédéral s'est donc engagé, budget de 75 millions à l'appui, à "examiner en concertation avec le secteur et les partenaires sociaux comment poursuivre la réforme du statut social des artistes". Quelques mois plus tard, en avril 2021, était lancé un vaste processus de concertation sectorielle via la plateforme numérique www.workinginthearts.be. En a résulté, en juin 2021, une proposition de réforme rendue publique : la note Wita (pour Working in the arts). "Cette note, fruit d'un an et demi de travail et d'un compromis entre les représentants du gouvernement et du secteur culturel, était la ligne rouge pour l'Upact", rappelle Pierre Ronti. Elle s'articulait autour de trois objectifs principaux : 1° "une absence de recul des droits sociaux" ; 2° "une plus grande inclusion des métiers de soutien et des métiers périphériques du secteur des arts et de la culture" ; et 3° "une simplification administrative". Mais "là, on en est extrêmement éloignés", soupire-t-il.
Des bénéficiaires qui risquent d’être exclus du statut
Ainsi, "à l'heure actuelle, sont inclus dans le statut tous les métiers artistiques et les métiers techniques, ces derniers étant néanmoins sujets à l'interprétation de l'Onem, rappelle le producteur et diffuseur. C'est d'ailleurs là où le bât blessait et c'est pour cela que la première mouture de la note Wita clarifiait les choses". Mais, "ici, en l'état des textes, ces métiers-là en sont exclus ou en partie exclus". Pour Thibaut Delmotte, "il y a donc clairement une régression au niveau des métiers techniques tandis que les métiers de soutien ne sont pas inclus, en tout cas, pas dans la manière dont c'est formulé". Pourquoi ? L'avant-projet de loi stipule qu'"il faut une contribution artistique sur la prestation", relaie Pierre Ronti. Conséquence ? "Un porteur de câbles ou un roadie (qui pousse les flight-cases) qui, à l'heure actuelle, a éventuellement accès au statut – en fonction de l'interprétation de l'Onem, qui est déjà assez restrictive –, n'y aurait plus droit en regard de l'avant-projet de loi."
Un autre point qui fâche l'Upact concerne les démarches administratives. "Au départ, la note Wita prônait un accès très simplifié au statut sur des critères basiques de preuve d'une activité artistique régulière, qui pouvait passer par toute une partie du travail invisibilisé comme les répétitions, résume Pierre Ronti. La deuxième étape était l'accès au droit au chômage, qui était aussi facilité". Mais, désormais, "a été introduit un seuil de revenus minimal artistique à prouver auprès de la Commission du travail des arts (seule instance à examiner les dossiers de demandes d'attestation des travailleurs des arts et habilitée à les reconnaître, NdlR) auquel s'ajoute d'apporter la preuve du travail invisibilisé, explique Thibaut Delmotte. On est donc dans tout, sauf dans une simplification administrative !".
45 millions vs 75 millions
Plus globalement, "l'Upact a appris que la note Wita avait été évaluée par le gouvernement à 45 millions d'euros, donc moins que ce qui avait été budgétisé (75 millions), pointe encore le comédien. Donc, pourquoi raboter sur quelque chose qui coûte moins cher que ce que le gouvernement était prêt à investir ? Ça n'a pas de sens !".
"Clairement, on s'est ratés sur les trois objectifs initiaux", ne décolère pas Pierre Ronti. "Et tout cela, en allant à l'encontre de l'accord de gouvernement", s'offusque son collègue. "En l'état, ce n'est donc pas possible !, répète Pierre Ronti. On envisagera d'ailleurs les pistes juridiques sur la constitutionnalité de la chose, car on ne régresse pas sur les droits sociaux". Alors que les textes seront examinés en deuxième lecture en juin, "c'est un peu la tentative de la dernière chance, mais nous gardons espoir que le gouvernement revienne sur la note Wita".
(1) L’Upact représente 17 fédérations défendant les intérêts des travailleurs de diverses disciplines (arts plastiques, audiovisuel/cinéma, arts vivants, bande dessinée, illustration, musiques)