Culture post-Covid: l’ADN du spectateur n’a pas changé
Faut-il s'inquiéter des changements dans les habitudes culturelles après le Covid ?
Publié le 29-05-2022 à 08h26 - Mis à jour le 29-05-2022 à 09h22
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Contrairement aux eaux retenues qui se déversent dans les rivières lorsque le barrage ouvre ses vannes, les spectateurs sont restés cois à l’heure où les salles de cinéma et de spectacles ont pu rouvrir leurs portes. Déjà très impacté par la crise du Covid, le secteur culturel doit aujourd’hui faire face à la désertion du public. Comment expliquer ces changements d’habitudes culturelles ? Cette inertie ? Est-il trop tôt pour s’alarmer ?
Selon Rachel Brahy, sociologue à l'Université de Liège, spécialisée en politiques sociales et culturelles, on observe, en matière de sociologie compréhensive, trois profils types concernant le recul de l'activité de sortie des spectateurs. "Tout d'abord, il y a ceux qui ne sortent pas (ou plus) pour différentes raisons : parce qu'ils craignent encore la contamination, veulent garder les masques ou sont victimes du syndrome de la cabane ; parce qu'ils préfèrent le confort de l'activité culturelle à la maison proposé par les plateformes qui ont connu un réel succès durant le confinement. Ensuite, il y a ceux qui sortent, mais en dehors des institutions 'traditionnelles' ; qui préfèrent l'alternative. Je pense aux scènes de l'underground qui se sont développées pendant le Covid. Enfin, d'autres reviennent au spectacle ou au cinéma, mais avec différents freins, dans un contexte où l'offre est extrêmement complexe et foisonnante, à la suite de l'interruption de plusieurs mois, avec pour corollaire une visibilité difficile, une dispersion des publics et une posture de spectateurs qui, ayant vécu le Covid, ont une plus grande faculté d'annulation et de changement de plans, pour des raisons civiques - un nez qui coule - ou de nouvelles priorités. Notre manière d'être au monde a été modifiée par la pandémie."
Il est toutefois des films qui ont enregistré plus d'un million d'entrées comme Qu'est-ce qu'on a tous fait au Bon Dieu ? ou En corps de Cédric Klapisch et des spectacles, en Belgique, qui ont connu un réel succès à l'image de Songe d'une nuit d'été de la Cie Point Zéro au Poche ou Georges de Molière par la Clinic Orgasm Society.
Refuser le déterminisme
Selon Gilles Abel, philosophe et artiste, ces exemples posent la question suivante : si le théâtre doit être une fête, de quelle fête parle-t-on ? "Il s'agit dans les deux cas de propositions baroques, jubilatoires, d'une exigence formelle indéniable, avec une distribution impressionnante. Du côté des artistes, face à l'embouteillage actuel, on observe une recherche de la création sécuritaire plutôt qu'aléatoire. Cette tendance de fond n'est pas rassurante. Les spectacles plus rêches ont la vie plus dure."
Enfin, face au dilemme de la perte auquel nul ne semble se résoudre, d'où les embouteillages observés, les programmateurs eux-mêmes se questionnent et envisagent de réduire leur offre de 25% pour ne pas épuiser leurs équipes. "Comment désamorcer ce paradoxe ?" interroge Gilles Abel. "Il faut que l'artiste entrevoie le scénario du renoncement, car le volume actuel de propositions est impossible à gérer pour le public."
Et lorsque nous demandons au philosophe si l'épidémie a changé l'ADN du spectateur, il confie regretter une tendance à la lecture déterministe, totalisante, qui nierait la plasticité de la résilience des gens au sens collectif et individuel. "Comme on dit en Belgique, on respire un bon coup, et on prend le temps d'une ou deux saisons avant de tirer des conclusions hâtives."