Financement des Arts de la scène : “Je vais subir des pressions, mais je garantirai la transparence”, assure Bénédicte Linard
La rentrée culturelle bat son plein. Tous les opérateurs en Arts de la scène ont les yeux rivés sur le calendrier et la ministre Bénédicte Linard (Ecolo). C’est dans le courant du mois d’octobre que devraient être annoncés les montants de leurs subventions pluriannuelles. Le budget (a minima 117 millions) “n’est pas extensible”. La ministre suivra donc “au maximum” les avis des commissions et de l’Administration.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/773f294d-56c4-4d07-acee-8ef7063dead9.png)
- Publié le 15-09-2023 à 06h43
:focal(1549.5x1040.5:1559.5x1030.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/G32IPL7SFNA6NHSZNPKI6JTNDQ.jpg)
Théâtre, danse, festival, musique, stand-up…, la rentrée culturelle bat son plein aux quatre coins de la capitale et de la Wallonie. Les rideaux sont levés et les projecteurs rallumés. Mais, en coulisses, les opérateurs culturels trépignent d’impatience. Tous ont les yeux rivés sur le calendrier et la ministre de la Culture, Bénédicte Linard (Ecolo). Voici près d’un an (la date butoir était le 28 novembre 2022) qu’ils ont introduit leur demande de financement structurel auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est-à-dire une demande pour des aides financières destinées à soutenir leur fonctionnement ou leurs projets pendant plusieurs années.
Pour mémoire, ces subventions pluriannuelles se déclinent sous deux formes : 1° les contrats (de création, de services ou de diffusion), d’une durée de trois (2024-2026) ou cinq (2024-2028) ans, donnent droit à une subvention s’échelonnant de 20 000 à 150 000 euros. 2° les contrats-programmes (destinés aux opérateurs de plus grande ampleur) sont, eux, établis pour cinq ans (2024-2028) et représentent un financement allant de 75 000 euros à 20 millions.
Au total, “613 dossiers ont été remis pour un montant total supplémentaire de 86 millions d’euros par rapport au montant actuel des contrats et contrats-programmes en Arts de la scène, soit 117,5 millions”, apprend-on auprès du cabinet de Mme Linard. “Onze dossiers ont été considérés comme non-éligibles.” Six-cent-deux dossiers ont donc été examinés par les deux commissions d’avis compétentes (la commission des Arts vivants et la Commission des Musiques).
Après de longs mois de réunions, les commissions ont, début juillet, remis leurs avis à l’Administration de la Culture, laquelle a, au cours de l’été, analysé tous les dossiers et rédigé une analyse complémentaire. “Tout cela va me parvenir dans quelques jours, annonce Bénédicte Linard. Puis, d’ici une dizaine de jours, j’irai présenter le dossier au gouvernement puisque je ne décide pas toute seule”.
Pour les avis alors validés, il restera une étape cruciale à franchir : entériner le budget final qui permettra de les financer. Et la ministre compte bien défendre son bout de gras lors du conclave budgétaire en octobre. La décision du gouvernement pour chaque dossier ainsi que la subvention y afférant seront, dans la foulée, communiquées à chaque opérateur, avec lequel sera défini son cahier des charges, c’est-à-dire les missions qu’il aura à remplir en adéquation avec le budget alloué. Les contrats prendront effet à partir du 1er janvier 2024.
Pour l’heure, et à quelques mois des élections, la ministre de la Culture tient à aplanir les doutes et rassurer. Interview.

Face à l’inconnue du financement qui pourrait leur être octroyé à partir de 2024, de nombreux opérateurs témoignent être en difficulté pour, notamment, établir leur programmation 2024-2025, qui se décide un an à l’avance.
Je comprends. La situation n’est pas confortable, mais elle n’est pas catastrophique non plus, car on tient l’agenda. Le processus est lent, mais il est connu de tout un chacun depuis plus d’un an. C’était également le cas sous la précédente législature. Par ailleurs, je le redis : mon travail consiste aussi à refinancer l’enveloppe. On n’est pas en train de grever un budget. Chaque dossier est passé entre les mains des experts (au sein des commissions, NdlR), qui sont eux-mêmes issus des Arts de la scène. Donc, on ne laissera jamais un opérateur au bord du chemin ! Et, si nécessaire, il y aura un accompagnement.
Au cours du premier semestre, des voix se sont inquiétées au sein des commissions au vu de l’afflux des demandes de subventions (plus de 600, contre 391 il y a cinq ans) et de l’enveloppe disponible (117,5 millions, contre 96,7 millions en 2018). Comprenez-vous ces préoccupations ?
Les inquiétudes étaient légitimes. Nous avons donc beaucoup rencontré les présidents, vice-présidents, et représentants des commissions et de leurs sous-groupes pour tenter de les rassurer et d’apporter des précisions. Nous avons aussi rappelé les critères (repris dans le nouveau décret des Arts de la scène) auxquels doivent désormais répondre les opérateurs en fonction du type de contrat sollicité (liberté artistique, diversité culturelle, représentation diversifiée des hommes et des femmes, etc., NdlR). Ce qui participe à l’objectivation et la transparence de la procédure. De même, sur le plan budgétaire, à l’enveloppe de 117 millions seront ajoutés entre 5 millions (fourchette basse) et 10 millions (fourchette haute).
Il y a énormément de demandes (de financement) qui ont été multipliées par un, deux, trois voire quatre. Mais il faut rester réaliste : mon budget n’est pas extensible."
De nouvelles disciplines ont été intégrées dans les politiques culturelles comme l’humour et l’improvisation. Cela aura-t-il un impact sur le budget dédié aux prochains contrats et contrats-programmes ?
J’ai été positivement étonnée du nombre de dossiers qui ont été introduits (613, dont 602 jugés recevables). Ce qui reflète l’enthousiasme des opérateurs à se sentir soutenus dans leurs projets. Mais il y a énormément de demandes qui ont été multipliées par un, deux, trois voire quatre par rapport au budget que certains opérateurs reçoivent actuellement (ce qui explique en partie le surplus de 86 millions en regard de l’enveloppe de base de 117 millions, NdlR). Il faut néanmoins rester réaliste : je partage leur ambition, mais mon budget n’est pas extensible. Cela étant, je le répète : on met de l’argent supplémentaire sur la table. En ce qui concerne l’humour et l’improvisation, à aucun moment, on ne prend des moyens sur les budgets existants puisqu’on a dégagé 500 000 euros (400 000 euros pour l’humour et 100 000 euros pour l’improvisation). Maintenant, je ne peux pas préjuger de l’analyse des dossiers par les instances d’avis. Il ne faut pas se voiler la face : il se peut que certains dossiers soient considérés comme n’étant pas mûrs ou que le montant demandé soit trop élevé par rapport au projet présenté. Des choix devront donc être posés.
À ce titre, d’aucuns s’interrogent sur le fait que des experts siégeant dans les différentes commissions sont issus du secteur des Arts de la scène, risquant d’être juge et partie. Que leur répondez-vous ?
La nouvelle mouture du décret a permis une plus grande diversité des regards au sein des commissions, car il y a parfois des personnes issues de disciplines tout autres que les Arts de la scène qui rejoignent certaines commissions. Donc, je fais confiance à ces instances vu la diversité des représentants et des membres qui les composent. De même, tout a été fait pour éviter le moindre conflit d’intérêts : personne ne peut se prononcer sur son propre projet. C’est la moindre des choses.
Aujourd’hui, le budget culturel avoisine, au total, un milliard d’euros, soit 8 % du budget de la FWB. Depuis 2018, cela représente une augmentation de 100 millions."
Vous l’avez martelé : l’enveloppe dévolue aux contrats et contrats-programmes sera revue à la hausse. Tout va se jouer au conclave budgétaire cet automne. Quelle est votre marge de manœuvre ?
J’espère que le conclave budgétaire, qui se tiendra début octobre, sera le moment où on aura finalisé les montants pour chacun des opérateurs. C’est à cette occasion que sera entériné le refinancement, qui se situe dans la fourchette de 5 à 10 millions. Et j’ai bien l’intention de défendre le maximum auprès de mon gouvernement. Qui plus est, au regard des demandes introduites par les opérateurs, je compte sur mon gouvernement, qui a toujours eu une oreille attentive à ce que je propose, pour, peut-être, aller au-delà de cette fourchette. Aujourd’hui, le budget culturel avoisine, au total, un milliard d’euros, soit 8 % du budget de la FWB. Depuis 2018, cela représente une augmentation de 100 millions (la culture au sens strict représentait alors 6% du budget de la FWB, NdlR).
Mais, vous avez l'avez déjà clairement annoncé : il y aura des heureux et des déçus...
Oui. Et je ne suis pas dupe : puisqu’il risque d’y avoir des demandes de financement qui ne seront pas satisfaites, il est fort probable que j’aie des pressions, ce que je n’accepte pas. C’est pourquoi je m’engage à suivre un maximum les avis qui me seront rendus par les instances et l’Administration, et à garantir la transparence et la bonne gouvernance. Si, à un moment donné, le gouvernement devait s’écarter d’un avis, il devra alors le justifier et le motiver de manière transparente. La culture est un service public avec de l’argent public. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que je ne conclus pas d’accord sur un coin de table pour donner de l’argent à un opérateur.
Nous sommes à quelques mois des élections de juin 2024. Cela change-t-il la donne dans votre façon de travailler et de faire avancer les dossiers ?
Non, cela ne change rien du tout parce que ça balise le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles et que je ne suis pas spécialement candidate sur la totalité de ce territoire. Je fais mon travail comme ministre en soutien au secteur culturel. Si ça n’avait pas été une année électorale, j’aurais fait exactement la même chose.