Contre la colonisation des esprits
Après le contestable documentaire britannico- belge de l'an dernier, «King Léopold II», la pièce, adaptée du livre de Mark Twain, relance la polémique sur Léopold II et l'Etat indépendant du Congo... Avec une différence de taille: là où Peter Bate prétendait faire oeuvre historique, la création de la Compagnie Point Zéro est artistique. Avec les limites et les excès inhérents au genre.
Publié le 24-02-2005 à 00h00
Après le contestable documentaire britannico- belge de l'an dernier, «King Léopold II», la pièce, adaptée du livre de Mark Twain, relance la polémique sur Léopold II et l'Etat indépendant du Congo... Avec une différence de taille: là où Peter Bate prétendait faire oeuvre historique, la création de la Compagnie Point Zéro est artistique. Avec les limites et les excès inhérents au genre. C'est pourquoi l'on ne suivra pas le raisonnement des «anciens» de la colonie - voir ci-dessous - qui estiment que la pièce du Théâtre de la place des Martyrs est une insulte à la Belgique et à sa monarchie.
Non, «King Léopold II» est surtout une satire dont la base était un pamphlet d'un anticolonialiste convaincu. Il serait aussi injuste de prétendre que Twain était vendu aux puissances anglo-saxonnes. Au contraire: il dénonça aussi virulemment les visées colonialistes américaines.
Certes, l'on pourrait reprocher à Jean-Pierre Orban d'avoir mêlé des éléments très concrets de la colonisation d'après 1908 et montré les limites entre la «bonne colonisation» et la quête du profit, mais là encore la démarche est salutaire. Car, si le trait est appuyé, on ne tombe pas dans la caricature bête et méchante: pas plus que l'entreprise coloniale ne fut l'horreur absolue, on ne peut la présenter comme un triomphe sans bavures de la civilisation occidentale.
Au fond, Jean-Pierre Orban et le metteur en scène Jean-Michel d'Hoop ont bien fait de moderniser Twain. Et le message passe d'autant mieux que les adaptateurs se sont mis au diapason d'un certain humour bien belge où l'on fait volontiers preuve d'une solide autodérision. Tant pis pour les courtisans en courbette perpétuelle devant les puissants! Le débat avance bien mieux lorsqu'on ose appeller un chat un chat. Et une chicotte une chicotte. Notez que le spectateur sans préjugés peut sortir du spectacle avec une certaine sympathie pour Léopold II, joliment campé par Fabrice Rodriguez. Non, ce n'était pas le salaud décrit par une certaine opinion anglo-saxonne mais un chef d'Etat orgueilleux, toujours prêt à agrandir son terrain de chasse. Mais il n'était pas seul en lice: bien des grandes puissances n'ont pas fait mieux que les Belges comme le montre d'ailleurs avec une ironie salutaire la pièce. Tout au contraire...
Bruxelles, Théâtre de la place des Martyrs, (grande salle), jusqu'au 26 mars (de 7,50 à 14€). Tél. 02.223.32.08.
© La Libre Belgique 2005