Pas de devoir de mémoire sans la liberté de blâmer
Publié le 24-02-2005 à 00h00
Chat échaudé craint l'eau froide. «Le Roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire», le documentaire-réquisitoire de Peter Bate, avait mobilisé au printemps dernier les anciens coloniaux et avait, fait rare, suscité le courroux du Palais royal.
On guettait donc avec une certaine curiosité une protestation publique éventuelle contre la présentation de «King Leopold II» de Mark Twain, magistralement revisité par Jean-Pierre Orban. Il n'y en eut point à la «première». Tant mieux car on eût très mal compris pareille action. Avant le spectacle, d'aucuns au sein de l'Union royale pour les pays d'outre-mer n'avaient pas caché qu'ils étaient outrés que «le Théâtre de la place des Martyrs puisse prêter la main, la voix et le talent de (ses) acteurs à une oeuvre insultante... non seulement à l'égard d'une personne bien en peine de se défendre et dont la famille, par disposition d'Etat, est contrainte au silence, mais aussi, et la chose nous paraît insultante à l'égard de notre pays. Quelle satisfaction pouvez-vous trouver à remuer de la fange?»
D'autres lettres qui ont atterri au 22 de la place des Martyrs sont allées jusqu'à faire du dramaturge Jean-Pierre Orban et du metteur en scène Jean-Michel d'Hoop des complices objectifs du Vlaams Belang et des séparatistes en général dans leur campagne contre la Belgique et la monarchie. Une accusation lourde, d'autant plus que les promoteurs du spectacle avaient lancé l'idée de monter le pamphlet de Twain «in tempore non suspecto», entendez: avant le hourvari suscité par le docufiction.
Dans leur esprit, «King Leopold II» est un exercice salutaire de devoir de mémoire. Pour Jean-Pierre Orban, «l'histoire de chaque communauté, chaque peuple, chaque pays recèle sa part d'errements, de crimes, de souffrances imposées autant que de douleurs subies. Il faut scruter et assumer ce passé. Et marcher au bout de la nuit, faire face à nos démons...»
Une démarche menée dans bien des pays où ce ne fut jamais un exercice d'auto-flagellation mais souvent une entreprise intellectuelle très salutaire. Même pour certaines institutions, peu habituées à subir la critique... Ce débat adulte doit être possible chez nous aussi. Sans que l'on ne doive choisir le camp royal ou républicain...
«Le soliloque du roi Leopold» traduit et commenté par Jean-Pierre Orban a été réédité chez l'Harmattan (Paris) en 2004.
© La Libre Belgique 2005