Le "myth" de Larbi Cherkaoui
Sidi Larbi Cherkaoui, le jeune prodige belge de la danse, crée "Myth". Une ambitieuse chorégraphie avec 14 danseurs et 7 musiciens. Où on parle traumatisme et "vivre ensemble", avec des musiques du XIIe siècle.
Publié le 11-06-2007 à 00h00
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rencontre
En rencontrant à nouveau Sidi Larbi Cherkaoui, 30 ans, jeune prodige de la danse belge, il n'y a que les apparences qui changent. Il n'a plus ses cheveux blonds décolorés et il n'est plus membre du collectif "Les ballets C. de la B." où il a longtemps travaillé à Gand auprès d'Alain Platel. Le créateur du génial "Foi" et de "Tempus" fugit", créé à Avignon il y a deux ans, a retrouvé la couleur naturelle de ses cheveux et il est dorénavant en résidence au Toneelhuis d'Anvers, dirigé par Guy Cassiers. Une sorte de retour aux sources pour cet Anversois d'origine.
Mais pour le reste, il n'a pas changé. Il a toujours la même douceur d'ange dans la voix et le propos. Il porte au poignet ce qui ressemble à un chapelet, "c'est un bracelet chinois à 108 boules qui permet de compter ses péchés", dit-il en riant. Surtout, il garde la même ambition. Depuis quelques années, on se l'arrache. Il crée à Avignon, Genève ou Monte-Carlo. Il est en duo avec Akram Khan. A Paris, il triomphe à chaque fois au théâtre de la Ville.
Cantigas de Santa Maria
Il crée à partir du 20 juin, au Singel à Anvers, "Myth", une chorégraphie très ambitieuse, d'ores et déjà programmée à 90 reprises dans diverses salles européennes dont 14 soirs de suite au théâtre de la Vile à Paris. "Myth" met en scène 14 danseurs (dont deux "valides autrement" comme il l'avait fait déjà dans "Foi" et "Tempus fugit"). Et 7 musiciens intimement mêlés aux danseurs, les musicens du groupe de musique ancienne "Micrologus" mené par l'Italienne Patrizia Bovi, interprétant "live", , des superbes musiques arabes, andalouses et italiennes du XIIe siècle, une passion croate et des cantigas de Santa Maria avec luth, vielle, harpe et cornemuse.
Après la vague des grands "révolutionnaires" des années 80 (De Keersmaeker, Platel, Flamand, Fabre, Vandekeybus), des personnalités nouvelles ont émargé dans le monde de la danse et, parmi elles, Larbi Cherkaoui dont le parcours est fulgurant. D'origine modeste, de père Marocain et de mère Anversoise, "je n'étais pas vraiment belge et pas vraiment arabe, donc, très vite, je suis devenu celui qui a l'air belge, mais avec un nom arabe".
Il a le don de donner forme à cette humanité plurielle, de faire partager des sentiments et des questionnements, de dessiner une image de la beauté comme de la souffrance, de donner vie à ce qui relie les hommes. Comme le font Pina Bausch et Alain Platel. "Je me situe dans leur sillage, mais alors que Pina Bausch fait du théâtre-danse, j'y ajoute de la musique jouée chaque fois en live, et alors qu'Alain Platel travaille sur des individus, j'interviens davantage sur les rapports entre les gens, sur cet entre-deux qui crée des harmonies et fait naître des bébés." Il ne s'agit pas pour lui de rechercher dans la création l'originalité à tout prix, mais d'être "original", "de retrouver ses racines et créer à partir de son propre vécu".
"Foi" mêlait déjà dureté et tendresse, beauté fulgurante et cri, humour et angoisse. Comme la vie. Sidi Larbi Cherkaoui aime cette confusion entre chant, musique, danse et théâtre, lorsqu'on échappe à toute catégorie.
Sidi Larbi Cherkaoui n'a jamais dansé avant 15 ans, son père estimait que ce n'était pas une activité pour un homme. Terminant ses études, il participa à des concours d'imitation d'artistes (Michael Jackson) et fut engagé pour danser dans des émissions télé. Devenu une sorte de danseur professionnel, il remporta, à 19 ans, le concours du meilleur solo de danse, organisé par Alain Platel, avec qui il jouera "Iets op Bach". Ce prix lui ouvrit bien des portes. Il passa une année à l'école "Parts". Il découvrit toutes les réflexions qui peuvent nourrir la danse pure et devient un boulimique d'un savoir qu'il tente de catalyser dans ses spectacles. Il dit de lui même qu'il est "une éponge qui réfléchit". "Ma sagesse, si j'en ai, est celle de l'environnement qui me nourrit. Je tente de traduire au mieux les idées et les vérités de mes danseurs.".
Dans "Myth", Larbi Cherkaoui, va toujours à la recherche de thèmes universels sur un fond post-moderne, de cultures et religions diverses, dans un syncrétisme très contemporain. A nouveau, son spectacle a de nombreuses couches de significations. Cette fois, c'est le traumatisme qu'il prend comme point de départ pour les questions qu'il pose à ses danseurs et qui donneront lieu aux mouvements. Comment les gens réagissent-ils à des événements terribles ? Quels sont les changements que ceux-ci produisent ? Qu'est ce qu'une guérison et comment se retrouver soi-même ? Le malheur peut-il comporter un élément constructif ? Larbi Cherkaoui traduit ces questions et réflexions en chorégraphie, en étudiant par exemple, ce qui se passe lorsqu'un danseur prend son ombre comme point de départ.
La religion
"La mythologie est un bon outil de "guérison", même si je ne pense pas qu'il faille guérir de tout. Faut-il guérir de l'homosexualité ! Un peu de maladie doit subsister. La mythologie peut aider à guérir car on y trouve des références à d'autres hommes qui ont connu les mêmes épreuves. C'est comme dans l'inconscient collectif de Jung et ses archétypes." Le spectacle se donne dans un décor spectaculaire formé d'un cabinet de travail dont le plancher possède un labyrinthe comme à la cathédrale de Chartres. Les murs ont des entrelacs arabes et une bibliothèque, remplie de livres et de crânes, démontre que "les livres et les os sont les seuls choses qui restent d'un homme après sa mort". Une énorme porte reste fermée, porte du purgatoire ou porte de la salle d'attente d'un psychanalyste.
Larbi Cherkaoui puise souvent ses références dans les religions. "Je ne crois pas qu'il y a quelqu'un qui ait créé le monde, mais je pense que le monde forme un tout et qu'il faut résoudre ses problèmes tous ensemble. C'est vrai que les spectacles peuvent être des sortes de rituels comme les religions. À 600 dans une salle, on partage ensemble des émotions comme en Afrique autour d'un feu et des percussions. 'Foi' avait des connotations religieuses. Ici avec les mythes comme départ, c'est plus intime, cela touche davantage à ce qui est sous la peau."
"Myth" par Sidi Larbi Cherkaoui, au Singel, du 20 au 27 juin. Infos : 03/2482828